Baby Love
6.5
Baby Love

Album de Jean-Louis Murat (2020)

Tiens, r’voilà le mec qui s’la donne !

« T’as vu ça, mon chat, de source ça coule / mon navire baise la houle /oui, c’est ça, mon chat, voilà le rebirth of the cool/ c’en est bien fini de l’éternel retour du blues / J’te présente, mon chat, la nouvelle princesse of the cool ! » ("La princesse of the Cool")


Qui d’autre que Murat peut ainsi régler son compte à notre nostalgie de vieux cons pour une musique que les jeunes n’écoutent plus, tout en moquant la futilité des modes contemporaines, et en plus avec cette inimitable sensualité crapuleuse ?


Ça fait 30 ans – depuis son "Cheyenne Autumn", que Jean-Louis Murat nous passionne, nous intrigue, nous irrite, nous emballe. Il y a d’abord son talent, indéniable, dans l’écriture de chansons conjuguant mélodies accrocheuses et textes retors, qui le place d’emblée sur le dessus du panier de la « chanson-rock » française, une catégorie que l’on a créée dans les années 90 et dans notre tête spécialement pour lui et pour Dominique A. Mais il y a aussi son caractère de chien, son goût pour la provocation (très rock, et même punk, ça !), voire pour l’insulte qui le place dans la digne lignée des pires rockers anglais en termes d’arrogance, de mauvaise foi, ou même de simple impolitesse : soit quelque chose de franchement salutaire à une époque où tout le monde semble prêt à ramper pour avoir droit à une micro-célébrité de quelques minutes. Et par-dessus tout, son goût forcené pour l’exploration musicale, qui a eu pour effet de promener son œuvre de l’Amérique poussiéreuse des road movies au Moyen-âge de la chanson de geste, en passant – très récemment – par des expérimentations formelles et électroniques au succès discutable.


Oui, on avait senti notre amour pour Murat passer à l’arrière-plan ces derniers temps, depuis un "Morituri" magnifique mais ignoré, qui avait dû le précipiter dans un de ces accès de colère et de mépris dont on devine qu’il est coutumier. Mais on n’était pas inquiets puisque le Murat que l’on aime et que l’on craint un peu nous revient toujours. Et "Baby Love", le nouvel opus est un sacré retour en forme : 11 titres impeccables, irrésistibles dès la première écoute, pleins de morgue et d’humour aussi méchant que prodigieusement détaché des contingences. On peut tordre le nez sur un "Xanadu" maladroitement dansant (mais bien écrit et plein de ressources au niveau du texte), mais c’est bien la seule exception. Pour le reste, on a droit à du Murat millésimé, qui mélange le blues cuivré – qui lui tient de plus en plus à cœur – avec le rock qui swingue (un rock léger, pas hard), à équidistance entre modernité « pop » et classicisme, mais avec des mélodies sparadrap dont on se débarrasse très difficilement une fois qu’elles sont collées à nos doigts.


Principalement construit sur des tempos moyens comme toujours, "Baby Love", avec sa pochette rose disco en harmonie avec des rythmiques sensuelles, joue à fond la carte de la provocation et de l’ironie, mais, comme dans les meilleurs disques de l’Auvergnat, touche la corde sensible de l’intimité de chacun : dans cet album qui s’améliore au fil des morceaux, et qui finit donc encore mieux qu’il n’a commencé, l’un des sommets, "ça c’est fait", est l’un des plus beaux règlements de compte amoureux que l’on connaisse. On remarquera comment, juste après, "Si je m’attendais" modernise à coup de backing vocals scintillants le vieux fonds de commerce campagnard du faux ermite : rien ne change, mais tout prend quand même ici une élégance kitsch sacrément gouleyante.


« Mon amour a duré des milliers de nuits / et je ne sais plus où je vis /… / Qu’est-ce que t’as mon cœur / Toujours même pas peur / Arrête de m’emmerder, s’il te plaît » ("Troie")


Jean-Louis, oui, tu nous emmerdes après toutes ces nuits à t’aimer, mais surtout ne t’arrête pas pour autant.


[Critique écrite en 2020]
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EricDebarnot
8
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le 7 mars 2020

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Eric BBYoda

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