At the Cut
7.7
At the Cut

Album de Vic Chesnutt (2009)

Certains hommes font preuve d'une admirable assiduité. En moins de vingt ans de carrière et presque autant d'albums, Vic Chesnutt n'a jamais frustré un public pourtant exigeant, de ses débuts sous le patronage de Michael Stipe à sa signature sur l'éminent label Constellation. Certainement ravi par l'expérience "North Star Deserter", Chesnutt collabore de nouveau avec quatre membres éminents du label (Thierry Amar, Efrim Menuck, Jessica et Nadia Moss), ainsi que le guitariste de Fugazi, Guy Picciotto. A tel point que le premier titre d'"At The Cut" peut être considéré comme une véritable collusion entre deux univers : celui, flamboyant, dramatique, délicieusement solennel de Silver Mt. Zion et celui, nuancé, fragile et grâcieux de Vic Chesnutt. Certains hurleront probablement à l'imposture tant "Coward" semble condenser les éléments de l'identité musicale de la formation canadienne. C'est que Chesnutt semble avoir de nouveau trouvé une famille de musiciens avec qui l'entente s'avère parfaite et fertile, participant ainsi à un équilibre tellement évident qu'il paraît pensé dans les moindres détails. Parfois, Chesnutt avance sans se presser accompagné par une section rythmique d'une grande distinction, au jeu jazz velouteux et feutré, entre laquelle se glisse un mélancolique violon et des accords de guitare ibérique ("We Hovered With Short Wings"). Puis une ballade somme toute mélodiquement classique dépasse son cadre initial grâce à un simple et merveilleux arrangement pour guitare et piano, Nadia Moss ponctuant le chant d'une gracieuse ligne de cordes. Suscitant l'intérêt de l'auditeur du début à la fin, l'instrumentation a réellement belle allure, tour à tour relâchée et tendue, et marquée par nombre de passages d'une ample richesse sonore.
Si le navire change immédiament de cap après le titre d'ouverture, délaissant les grimpettes rageuses chères à Efrim Menuck au profit d'une plaisante sobriété où la finesse tient lieu de force, les nuages assombrissant l'horizon demeurent identiques : deuil, souvenir, instabilité, fatalité, mortalité, fermeté, couardise... Pourtant, pour un disque travaillé par le langage de la douleur, investi par la notion de dégénerescence, "At the Cut" se révèle aussi rond et chaleureux que l'envoûtante contrebasse de Thierry Amar au début de "Chinaberry Tree". Ce constat est d'autant plus remarquable que Chesnutt nous fait grâce des sempertinelles et éculées images emo-gothico-romantiques du genre "abysse", "enfer" ou "purgatoire". Pour évoquer la mort, Chesnutt fait plutôt dialoguer un petit-fils et sa grand-mère dans une scène à la fois touchante et presque anodine ("Granny") ou l'apostrophe humblement dans une des plus belles chansons qu'il ait jamais écrites ("Flirted With You All My Life"). Surtout, Chesnutt n'oublie jamais que la mort est le contrepoint de la vie, que l'une serait dénuée de densité sans l'autre et que la lumière aussi fait l'ombre. Inutile et puéril, donc, de se révolter contre son existence. Il refuse tout sentimentalisme de bon aloi et se confronte à sa situation sans aucune aigreur, sans demander pardon ni réclamer des excuses, rejetant d'un revers de manche toute tentative de définition. S'il n'a pas l'audace d'un Neil Hannon ou le lyrisme d'un Chris Garneau, Vic Chesnutt dispose toutefois de jolies cartouches mélodiques et d'un talent de conteur consommé. Il s'agit également, il ne faudrait pas le négliger, d'un interprète de grand charme, sachant placer sa voix à merveille, ne se limitant pas à un unique registre et parvenant apparemment sans effort à éviter tout sentiment de monotonie. Saluons encore une fois la constance et le dynamisme d'un artiste au talent encore trop négligé.(popnews)


Le retour au premier plan il y a deux ans de Vic Chesnutt, accompagné de l'ex-Fugazi Guy Picciotto et du noyau dur de Silver Mount Zion n'était, à raison, pas passé inaperçu. C'était même la rencontre au sommet d'un des songwriters les plus émouvants de son époque et de musiciens hors-pair prêts à se surpasser pour donner à ses chansons tout le lustre qu'elles méritaient, en exaltant la violence sourde et la beauté qui les sous-tendaient. La sortie de "Dark Developments", l'an dernier, sans cette fameuse clique, avait encore plus mis en lumière ce qui manquait à Chesnutt pour se sublimer, même si cet album avait autant de vertus cathartiques que les autres. Mais voir aujourd'hui "North Star Deserter" trouver une suite avec les mêmes protagonistes, donne incontestablement un frisson d'excitation supplémentaire, et aussi, disons-le, un soupçon d'inquiétude, tant la magie de "North Star Deserter"pouvait être de celles qui ne se reproduisent pas. Coward, qui ouvre l'album, peut s'inscrire dans la lignée de "North Star Deserter" par sa violence brute, sèche et lumineuse, tout en donnant déjà une indication que le risque de la redite a toutes les chances d'être écarté. Car aux montées épiques et en montagne russes, le groupe préfère cette fois trancher dans le vif, en jouant droit dans ses bottes, guitares en avant, cordes légèrement en retrait. Ensuite, on ne retrouvera cette violence directe et brute qu'une seule fois sur l'album, à l'occasion d'un Philip Guston radical, tendu à souhait et sans fioritures, sur lequel la voix toujours au bord de la rupture de Vic Chesnutt qui égrène des mots acides trouve un écho parfait dans les riffs incendiaires de ses comparses. Mais "At the Cut" s'il marque une approche différente dans la forme, en fait autant sur le fond. Là où son prédécesseur était un exutoire de douleurs émaillé d'éclairs lumineux de nostalgie, ce nouvel opus marque l'évolution quasi-philosophique de son auteur. Ainsi, colère et frustration, évacuées sur les deux morceaux déjà cités, laissent la place à une approche contemplative et même parfois apaisée. Ainsi, Chinaberry tree, incontestablement un des sommets de l'album, est un morceau libérateur, sur lequel les guitares se font cette fois virevoltantes, le chant élégiaque, comme si Vic Chesnutt voulait dire toute la beauté du monde. De même sur Concord country jubilee ou We hovered with short wings, mélodies et arrangements s'entendent pour créer un sentiment de sérénité. Et puis, surtout, il y a Flirted with you all my life, qui donne les clés de cette nouvelle approche. Vic Chesnutt s'adresse ici directement à la mort, en la personnalisant. Mais plutôt que d'en faire un morceau empli de terreur et de mal-être, il donne corps à une chanson lumineuse, solennelle, portée par un refrain en apesanteur et de petits accords de guitare légers, dans laquelle il déclare sans ambages son envie et son désir de vie. De quoi recevoir une grande claque d'émotion, et faire taire tous ceux qui auraient voulu réduire Vic Chesnutt à un condensé de morbidité et d'aigreur. Certes, "At the Cut" ne possède pas la fulgurance de "North Star Deserter", mais reste d'une beauté et d'une tenue largement au-dessus de la moyenne. C'est aussi le disque qui fait de ce qui avait commencé comme une collaboration une épopée musicale, le ciment d'une fraternité entre musiciens. Une bien belle histoire. (indiepoprock)
Après la parenthèse Dark Night Of The Soulil y a quelques mois, Vic Chesnutt retrouve aujourd’hui ses débraillés amis de Thee Silver Mt Zion et Guy Picciotto (Fugazi) pour donner suite au brillant North Star Deserter (2007). Plus massive que sa collaboration avec Elf Power (Dark Developments, 2008), cette nouvelle aventure en dix chapitres à l’Hotel2Tango témoigne d’une envie d’écrire et de jouer plus forte que jamais. Parsemé de citations d’auteurs (parfois deux dans le même morceau), le bien nommé At The Cut recèle de chansons déchirantes, telles que Granny, ce bref mais vibrant hommage à la grand-mère de notre citoyen d’Athens préféré. Qui, toujours armé de sa fidèle guitare nylon, insuffle la dynamique de ses compositions au reste de son orchestre, dont l’amour pour elles transparaît à chaque mesure (Coward, When The Bottom Fell Out, Chain). Finalement assez proche de ses premiers essais à domicile, Vic Chesnutt poursuit là son œuvre hors des sentiers battus, dont on prie pour que les textes magistraux fassent école pour des décennies en Amérique (Concord Country Jubilee, Flirted With You All My Life). De sa voix d’ange écorché, l’auteur de Chinaberry Tree et Philipp Guston scande ses réflexions sur l’existence avec une sincérité peu commune. Il apporte surtout un supplément d’âme à un catalogue réputé pour ses positions radicales et l’urgence de ses productions… (Magic)
Si Vic Chesnutt n’a pas changé du tout au tout, son rapprochement avec le label Constellation lui aura comme offert un second souffle dans sa carrière musicale. “North Star Deserter“, sorti il y a deux ans, ne manquait pas de le souligner en l’extirpant de son folk dépouillé vers un autre, plus électrique et soutenu par des arrangements aussi discrets qu’efficaces. Ce n’est donc pas plus enjoué qu’il s’est attelé à “At The Cut”, un nouvel opus une nouvelle fois enregistré à Montréal et mis au monde avec l’aide de son backing band de luxe, composé de Guy Picciotto (Fugazi) et des Silver Mt Zion qui l’accompagnent désormais fidèlement depuis quelques mois.Il faudra donc définitivement s’y faire: même entouré, Chesnutt sera toujours ce chanteur triste, habité d’un humour bien à lui, comme d’une rage héritée d’une vie qui ne lui aura pas fait de cadeau. Et plutôt que de vouloir changer de cap à tout prix, il prend le parti de s’y enfoncer, de polir encore un peu plus cette mélancolie planant continuellement au dessus de ces dix nouveaux titres, et de faire ainsi de cette nouvelle salve une aussi belle réussite que la précédente. Mission remportée haut la main. Et les solides arguments ne manquent pas: de “Coward” à l’ambiance plombée par ses cordes mortuaires, à l’acoustique final “Granny”, Vic Chesnutt, seul ou en groupe, se montre plus inspiré que jamais, laissant éclater au grand jour un émouvant sens de la mélodie, autrefois beaucoup plus voilé. Ainsi, l’intime “When The Bottom Fell Out” touche par son authenticité, le collectif prend toute sa mesure sur le frissonnant “Chain”, une pointe jazzy se soulève des balais de “We Hovered With Short Wings” puis contraste avec la rudesse des guitares perçantes de “Philip Guston”.Pour tout cela, “At The Cut” est un album touchant, qui en devient même bouleversant quand on veut bien se pencher sur les textes de Chesnutt, à la fois intimes et déchirants sans jamais le moindre cliché (sa lettre à la mort “Flirted With You All My Life”, l’affectueux “Granny”…). Une fois l’émotion bien à fleur de peau, il ne vous reste alors plus qu’à vous plonger dans l’écoute de “Chinaberry Tree”, le véritable chef d’oeuvre de cet album totalement incontournable, sur lequel vous pourrez laisser perler les larmes et ravaler votre fierté. (Mowno)
bisca
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le 19 mars 2022

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