Laissons parler la musique...

Généralement, chroniquer l'album de Bertrand Cantat c'est prendre parti! Vous remarquerez la plupart du temps que les chroniques s'ouvrent le plus souvent sur un rappel du contexte lié à l'album et sur le fait, au choix : 1-Qu'il ferait bien mieux de se faire petit et fermer sa gueule une fois pour toute ce monstre et que bah tient sa musique n'a aucun intérêt pendant qu'on y est hein! On a écouté le disque vite fait avec des œillères mais c'est pas grave quitte à être con autant l'être jusqu'au bout! 2-Qu'il a commis une horrible erreur il y a maintenant 15 ans de cela, que ni ses fans, ni lui (surtout lui) ne cautionnent la violence faite aux femmes, qu'il a payé sa dette à la société et a le droit de continuer à faire de la musique...et ça tombe bien parce qu'elle est excellente cette musique!

Vous l'aurez compris, nous choisirons ici le deuxième choix d'ouverture possible. En fait, on va rapidement parler du disque parce que j'ai pas de temps à perdre à parler de ces sois-disant "féministes" qui comptent lutter contre la violence faite aux femmes en prônant le harcèlement, l'humiliation, le chantage, la menace, les insultes, les mensonges, la diffamation, et la pression psychologique, c'est assez évocateur d'une société malade où décidément pas grand chose ne va. J'ai tardé à écrire cette chronique pour de multiples raisons : pas assez de temps, envie d'attendre que les polémiques redescendent, certaines très bonnes chroniques sur le net qui m'ont presque fait complexer (mais pas toutes loin de là...), et SURTOUT voir si pratiquement (déjà!) un an plus tard mon impression sur ce disque allait évoluer, si je ne m'étais pas emballé...et bien NON : ce disque est un bijou, une merveille, un oasis musical d'une finesse et d'une richesse rare au milieu de la soupe formatée que l'on nous sert aujourd'hui à longueur de journée!

Tout commence par "Amie nuit", véritable moment de poésie sereine et mélancolique servie par des sonorités électroniques de plus en plus travaillées à mesure que progresse le morceau. La voix de Cantat y est fragile, dénudée, et la beauté du paysage nocturne qui se dresse devant nous n'en est que davantage magnifiée. Si l'album "Horizons" n'était pas raté mais souffrait tout de même d'une certaine homogénéité, ça ne sera absolument pas le cas de "Amor Fati" : le morceau-titre qui suit tranche assez radicalement avec la tranquillité d'"Amie nuit" et nous assène un rap/rock furibard et revanchard! "Revanchard" est un mot qui convient essentiellement à l'avant dernier couplet où le père Cantat règle ses comptes avec les personnes douces et bienveillantes qui ont tant à apporter à notre société et dont j'ai déjà parlé plus haut (ironie quand tu nous tient!). Certains qualifieront peut-être ce texte "d'indécent" mais il s'agit d'un bref moment de colère assez maîtrisé où rien d'illégitime n'est dit et au vu des nombreuses attaques (faux témoignages notamment) dont celui-ci est victime...c'est une bien maigre contre-attaque! Musicalement parlant ce titre est un véritable petit chef d'oeuvre et un des (nombreux) sommets du disque : le flow de Cantat y est impeccable, bluffant, et les arrangements sont épurés sans pour autant verser dans du rap/slam à la "Fauve" via des arrangements rock du plus bel effet (notamment une basse de plus en plus présente).

Le thème du morceau (et de l'album) étant l'amour du destin ("Amor Fati") beaucoup iront clamer que ce dernier est dans le déni et cherche à se déresponsabiliser, ces abrutis au QI d'huître et à la culture générale limitée sont donc priés de faire des recherches : ils apprendront ainsi que le fameux "Amor Fati" n'est pas seulement l'acceptation du destin face auquel nous n'avons aucune liberté si ce n'est l'accepter ou souffrir en ne l'acceptant pas (originellement stoïcien) mais peut également faire référence à un aspect important de la philosophie Nietzschéenne qui prône le dépassement de soi via l'acceptation de la réalité dans tout ce qu'elle a de plus tragique et de difficile à supporter. En parlant de colère (désolé si je me suis emporté), elle est largement moins présente qu'à l'époque de "Noir Désir", on relèvera un "Scuse my french" (qui prend aux tripes passé plusieurs écoutes) assez énervé et un "Chui con" bien rythmé mais c'est à peu près tout...la deuxième moitié du disque étant principalement dominée par les ballades.

Les sujets d'insurrection face aux problèmes sociaux actuels sont également au cœur de l'inspiration du disque (à croire qu'il n'est pas totalement nombriliste et narcissique mwarf) : sur le superbe "Sillicon Valley" où sur un rythme lourd et lent et avec une voix déshumanisée et glaçante Cantat nous décrit les intentions de la machine dont l'intelligence et le pouvoir semblent avoir dépassé le contrôle humain : "j'ai pour projet de faire ton bonheur malgré toi, c'est pas la première fois qu'on te fait le coup oui mais là...on te jure que c'est la bonne!" De quoi ironiser sur le flicage permanent dont nous sommes victimes grâce aux "cookies" qui ciblent nos préférences pour notre bien en somme! Et puis il y a aussi le cas "L’Angleterre" qui a presque déclenché une nouvelle polémique de par sa qualité musicale jugée "pauvre" par une bonne partie des fans lorsque celui-ci est sorti. Je vais vous avouer un truc : je ne comprend RIEN aux tenants et aux aboutissants exactes du brexit ni aux conséquences exactes que celui-ci a eu sur les immigrés ou les réfugiés (et je m'en fous un peu) donc je ne ferai aucun commentaire sur les paroles (je laisse les spécialistes en géo-politique les dézinguer si besoin). En revanche musicalement...si ça n'est pas LE meilleur morceau du disque, ça n'est pas du tout un moment désagréable loin de là! C'est une bonne chanson aux allures pop...est-ce que c'est transcendant? Pas vraiment...mais ça se fond bien avec le reste du disque et juger l'ensemble de l'album sur la foi de ce seul morceau serait une erreur de toute façon.

"J'attendrai" calme et posé rappellera à certains "Noir Désir" dans ses moments acoustiques, le chant est d'une finesse remarquable sur les refrains. Vient ensuite "Les pluies diluviennes" : un moment magique...pas le morceau qui m'a le plus marqué à la première écoute, mais qui se révèle être une vraie perle par la suite. C'est encore un beau moment de poésie acoustique où Cantat semble revenir sur un passé sentimental lointain maintenant mais sans indécence de façon très imagée et avec une tendresse incroyable dans le chant et dans l'écriture...on aurait bien du mal à soupçonner la violence (malheureusement) réelle dont ce dernier a déjà pu faire preuve en écoutant ça. "Anthracitéor" était le deuxième single extrait de l'album...et c'est un vrai chef d'oeuvre : très minimaliste, avec un chant extrêmement habité et poignant, une classe d'écriture absolue, et une montée rock en puissance du plus bel effet qui survient à la fin du morceau (une structure assez classique que l'on pouvait déjà retrouver chez Led Zep ou Queen...mais diantre que ça fait du bien!).

L'album se termine "tranquillement" par un "Chui con" comme je l'ai déjà dit "rythmé", pas exceptionnel, mais assez sympathique et bien foutu, "Aujourd'hui" enjoué et lumineux avec un riff de guitare accrocheur (pas ma préférée du disque mais très agréable), et enfin un autre bijou : "Maybe i" seule chanson en anglais entièrement acoustique et épurée où la voix tout en retenue de Bertrand Cantat nous berce et nous apaise.

Je n'irais pas jusqu'à dire que l'album est absolument parfait car Bertrand Cantat est déjà allé encore plus loin que ça en terme de "génie" artistique sur la durée d'un album avec son ancien groupe...mais on frôle dangereusement la perfection tout de même! "Amor Fati" est un très bel album : varié, profond, tendre, doux, poétique...dommage que la polémique prévisible qui l'a accompagné le condamnait par avance à ne pas obtenir les éloges et le plébiscite mérité. Reste à savoir si notre artiste français préféré va effectivement mettre la clé sous la porte ou continuer...