Lorsqu’on explique autour de nous qu’on a en ce moment une scène Rock française qui, pour la première fois, n’a rien à envier aux scènes anglo-saxonnes, on recueille encore trop régulièrement des regards peinés et des soupirs compatissants. Mais peu importe, car chaque mois en ce moment apporte son lot d’albums excitants, novateurs, qui, pour peu qu’on se donne la peine de les écouter, sont susceptibles de convaincre même les sourds.

Cette semaine est marquée par exemple par la sortie de ALMOST DEAD des Rémois de Chester Remington, sans aucun doute l’une des toutes meilleures nouveautés Rock du moment, au point qu’il va concourir sans problème pour le titre de « révélation française de 2024 ». Enfin, on dit « révélation parce que, honte à nous, on a totalement loupé la sortie les années précédentes des deux EP Nobody Cares About My 4 Tracks Record et Doldrums, qu’il va nous falloir maintenant rattraper…

Bon, maintenant, comment expliquer ce qu’est cet ALMOST DEAD, enveloppé d’une belle pochette BD figurant de drôles de volatiles encapuchonnés ? Parce que, et c’est ça qui est très drôle, les références sont, sinon impossibles, du moins passablement embrouillées. Rassurons d’abord les gens de bon goût, pas d’influences notables ici du « post punk » des années 80… mais de légères réminiscences psyché anglaises des sixties, des dérèglements de la new wave colorée, de la furie indie rock US des nineties, le tout déconstruit par une volonté de produire quelque chose de totalement personnel, à la fois fantaisiste, déjanté et pourtant totalement au premier degré. De la musique amusante qui doit pourtant être prise très au sérieux, et une nouvelle preuve que l’humour est la clé idéale pour ouvrir des portes qui ne mènent pas dans des couloirs empruntés par la masse des suiveurs…

… A l’image de cette formidable introduction qu’est le délirant (et excitant) Shake It, qui relève de la même démarche que les premiers albums de XTC : une mélodie sparadrap, des vocaux acides, de l’énergie à en revendre. Ça pique le nez comme des bulles de champagne (il fallait forcément la placer, celle-là) et ça donne envie de danser comme un parfait demeuré, dans un rush d’euphorie dont on voudrait qu’il ne cesse jamais. Mais c’est aussi un single qui ne saurait servir d’étiquette à un album qui s’ingénie surtout à partir dans le plus de directions différentes possibles. L’intro de Love rappelle l’importance des Pixies dans l’histoire de la musique aussi violente qu’intelligente, You Liar nous rassure quant au fait que, même dans la province riche et somnolente comme peut être la Champagne, le skate punk permet de triompher de son ennui. Et puis, à l’autre extrémité du spectre musical par rapport à Shake It, il y a cet ALMOST DEAD qui conclut l’album : intro en spoken word sombre sur des guitares cinglantes, dans un crescendo angoissé (bon, on peut admettre, même si ça nous fâche, qu’il y a quand même un peu de « post-punk » ici… Dont Acte !), dérapant dans une frénésie bien barrée qui rappellera aux plus anciens d’entre nous les gros délires sur les titres les plus violents de Devo, mais un Devo qui serait contemporain de Nirvana. Entre les deux, on a l’ambitieuse plage pop « classique » de Black Hole Fireworks, un morceau finalement très sérieux dans son respect de la syntaxe du genre, comme un écho au travail des Lemon Twigs (une bonne analogie, ça, les Lemon Twigs, avec leur mélange de fantaisie et d’amour de la musique bien écrite et jouée avec passion).

Chacun des neuf titres qui composent le premier album de Chester Remington ouvre ainsi des portes différentes dans notre mémoire, mais surtout des voies excitantes que le groupe pourra suivre par la suite (ou pas, car on les soupçonne d’avoir peu de goût pour les sentiers battus…).

On ne l’a pas dit, mais Chester Remington n’est pas le nom – on s’en doute d’un peu – d’un musicien du groupe : à la base, il y a le multi-instrumentiste Odilon Horman, à la bonne tête de fantaisiste photogénique, qui s’est entouré d’une équipe ultra-efficace, s’est inventé un alter égo à tête de d’oiseau, et déploie depuis 2019 un passionnant savoir-faire de compositeur.

Et c’est ainsi que ALMOST DEAD, au-delà du plaisir immédiat qu’il nous donne, constitue l’acte de naissance officiel d’un groupe qui va indiscutablement compter dans les années qui viennent.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/03/20/chester-remington-almost-dead-hors-des-sentiers-battus/

EricDebarnot
7
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Créée

le 25 mars 2024

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Eric BBYoda

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