Aja
7.5
Aja

Album de Steely Dan (1977)

   1977. Grande année pour la musique. Pink Floyd sort une virulente diatribe politique intitulée "Animals", Eric Clapton fait des merveilles sur "Slowhand" et Fleetwood Mac, au firmament, affole le monde entier avec l’immense "Rumours". C’est au coeur cette ébullition artistique que le groupe américain virtuose Steely Dan publie leur opus majeur, "Aja", bijou jazz-rock, sommet de sophistication et d’inspiration musicale. L’album aligne 7 morceaux tous rivalisant d’inventivité, de génie, le bonheur est total. Steely Dan, fondé en 1971 par Donald Fagen et Walter Backer (décédé en 2017), est un groupe aux influences éminemment jazz, orienté vers un rock complexe, guitares et cuivres en puissance, un son acidulé au service de textes au vitriol sur l’Amérique et ses travers sociaux. Un univers riche, inventif transi par une musique toujours plus exigeante et travaillée. Aja embrasse une ambiance résolument jazzy, bien plus que les précédents albums, et les musiciens défilent et ne se ressemblent pas. En effet, Steely Dan a fait appel à une quarantaine de musiciens tout au long des séances d’enregistrements pour parfaire le son, tandis que le perfectionnisme de Fagen et Becker est poussé jusqu’à l’obsession. Mais que dire du résultat ? Il est époustouflant, grandiose...
‘In the corner of my eye, I saw you in Rudy’s, you were very high…’ .Le ton est donné. Entre rythme funky, basse phénoménale, choeurs sublimes, solo de saxophone et partition de cuivres époustouflante,"Black Cow" est une merveille, un groove infectieux mémorable. Le morceau d’ouverture est l’un des sommets de l’album, et présente déjà un savant mélange de l’ADN Steely Dan dans lequel luxuriance, classe et talent sont au rendez-vous.
Piano discret, accords de guitare, batterie légère...voilà sur quoi débute sur le long (8 minutes) titre éponyme, pièce maîtresse de l’album et magnifique démonstration du génie steelydanien. Construit tout en crescendo, "Aja" prend le temps de déployer toute la richesse de son contenu et de créer une ambiance, du moins une atmosphère aux résonances orientales (la pochette, tout en sobriété, immortalise le modèle japonais Sayoko Yamaguchi). Les deux intenses partitions solistes de saxophone et de batterie constituent l’acmé, l’apothéose du morceau…un véritable voyage, un moment de grâce toujours brillamment chanté par Donald Fagen.
L’histoire narrée dans le morceau suivant est déjà en elle même une formidable entrée en matière. Un homme se rêve en saxophoniste mais tout cela est « le rêve brisé d’un homme brisé à la vie brisée » selon les dires de Walter Becker. La musique quant à elle est toujours aussi sublime…choeurs féminins aériens, solo de saxophone divinement joué par le non moins divin Wayne Shorter, batterie funky...que dire de plus ? "Deacon Blues" est un bijou, un perle rare, un imposant (7 minutes) morceau de bravoure et surtout de plaisir.
Le voilà le « tube » de l’album. "Peg" est un pur morceau de funk, au rythme chaloupé, entouré de cuivres chauds et de voix masculines très soulful. Cette quatrième piste est peut-être la moins percutante de l’ensemble malgré un solo de guitare des plus honorables. Le niveau atteint par les morceaux précédents étaient tels que l’étonnement se fait moindre sur cette chanson...mais rien de grave, car "Peg" demeure un petit morceau jazz-pop agréable et toujours parfaitement effectué, notamment la batterie qui ici fait des merveilles.
L’introduction est immense : cuivres en puissance et rythme Purdie Shuffle (rythmique inventée par le génial Bernard Purdie et joué par le batteur himself) se succèdent à une ligne de piano saccadée...magistral ! L’ouverture de "Home at Last" est certes monumentale, mais la suite est du même acabit. La puissance évocatrice du morceau et la précision millimétrée (disons le à la limite de l’entendement) des musiciens offrent un spectacle auditif coloré, intelligent et toujours jouissif. En effet, Fagen et Becker sont de grands compositeurs méconnus et cette variation musicale sur le thème de l’Odyssée se démarque par la force et la pertinence de ses sonorités. Comme à l’accoutumée, l’ambiance jazzy du morceau est assumée et le génie des musiciens fait des étincelles…
Profusion de notes dispersées au piano, batterie et basse rugissantes, cuivres discrets..."I Got the News" est un morceau répétitif et rapide, les instruments se répondent, communiquent entre eux pour former un ensemble jazz atypique, en mouvement perpétuel. Pourtant, la chanson, tout bien considéré, est peut-être la moins intéressante de toutes, même si un excellent solo de guitare surgit au milieu, une partition de Becker toute en finesse qui rend justice à son immense talent.
Le riff inaugural est majestueux, les paroles atteignent un niveau d'ironie et d'érotisme inégalé ('When Josie comes home, so good, she's the pride of the neighborhood') et la guitare est éblouissante..."Josie" est effectivement un bijou funk, toujours agrémenté de cuivres retentissantes, un véritable instant de plaisir musical au groove contagieux. Steely Dan clôt leur album avec puissance et, au long de 7 titres, Aja a démontré l'entièreté de son génie et de sa perfection.
emilesdl
10
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le 14 févr. 2018

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4 j'aime

emilesdl

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