En invitant des DJ's fêlés à tripoter son rock'n'roll félin, Jon Spencer fait authentiquement exploser le blues, les frontières et la chronologie. Pour construire du neuf sur les ruines. Hasard du calendrier : le nouvel album de Jon Spencer Blues Explosion sort en France en même temps que la pilule Viagra. Sans avoir testé la seconde, on peut dès maintenant certifier que le premier est efficace. Acme, sommet, paroxysme, orgasme, 45 minutes au septième ciel. Aveu d'impuissance journalistique : il n'y a pas de mots assez percutants pour décrire la musique du Blues Explosion. Il faudrait faire des gestes obscènes, des trucs avec la langue, comme au temps des Rolling Stones. Car depuis cinq albums, le Blues Explosion fait la même chose que les Rolling Stones il y a une poignée de décennies. Soit : verser un nuage d'air du temps et quelques gouttes de philtre aphrodisiaque dans l'eau du Mississippi. Parce que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes. Mais c'est à l'aide des robots-mixers les plus modernes que le Blues Explosion fait aujourd'hui monter la sauce. Dans la lignée du mini-album Experimental remixes, Jon Spencer a confié sa nouvelle portée de chansons à quelques sorciers de la musique technologique : T Ray, Dan The Automator, Nick Sansano, Alec Empire. Sur le papier, ce genre de rapprochement laisse souvent perplexe. On se souvient de Little Axe perdu dans le bayou, à la recherche d'une prise électrique où brancher ses machines. Plus récemment, on n'a pu que déplorer la façon dont quelques jeunes gens modernes ont traité la musique du bluesman R. L. Burnside. Mais Jon Spencer ne compose pas sa musique sur le papier, il joue à l'instinct. Cet Acme juvénile et priapique est un incroyable condensé de techno-blues-punk-hardcore-soul-hip-hop et de cris qui tuent, dont les effets secondaires ne sont pas franchement indésirables : accoutumance, palpitations cardiaques, fourmillement dans les jambes, sensation de plénitude et de frustration mêlées, agitation intellectuelle, sentiment d'avoir 12 ans et d'entendre du rock pour la première fois de sa vie. D'après Jon Spencer, cette musique est simplement du rock'n'roll. Pourtant, Acme n'est pas le meilleur album du dernier grand groupe de rock'n'roll, mais la première manifestation de quelque chose de totalement nouveau ­ et terriblement excitant. Jon Spencer n'est pas de ceux qui font sauter les frontières entre les genres (trop facile, déjà fait, inutile puisqu'il n'y a au fond qu'une musique : le blues), il est celui qui abolit la chronologie. A la fin d'Acme, sur le titre mixé par Alec Empire, on peut entendre les percussions d'Othar Turner, vieillard du Mississippi qui joue un des styles les plus anciens de musique américaine, en prise directe avec l'Afrique. C'est évident, à un siècle de distance, Othar Turner et Alec Empire font le même boulot : ils créent du rythme, du groove. Dont Acme pulvérise la définition. Entre des murs en pierre philosophale (le blues), sous une charpente métallique (le rock électrique), Jon Spencer construit un dance-floor comme on n'en avait jamais vu avant, avec des DJ's hardcore aux platines et des posters d'Otis Redding sur les murs. Quand Jon chante "Je ne joue pas du blues, je joue du rock'n'roll", c'est sur le titre le plus hip-hop de sa discographie (Talk about the blues). Jon Spencer est un James Brown punk (soit un Iggy Pop) habillé en B-boy. Le Blues Explosion, c'est les Beastie Boys du Mississippi. Sur la forme, ce groupe n'a plus qu'un lointain rapport avec le blues. Mais il est plus que jamais au coeur de l'explosion. Explosion : libération très rapide d'une énergie stockée sous un volume réduit ; manifestation vive et soudaine ; accroissement brutal. Avec Acme, le Blues Explosion vient de passer à l'ère atomique, de gravir une nouvelle marche, de se propulser dans le futur. Ce disque a la fluidité mélodique d'un album d'Al Green, la sauvagerie d'un album des Stooges, la créativité d'un album de hip-hop turgescent, l'avant-goût du futur. Il est surtout marqué au fer rouge par l'humeur magnétique et volcanique de Jon Spencer, cette putain de rock-star. Les filles qui n'aiment pas la musique du Blues Explosion ont une excuse : elles sont quand même amoureuses de Jon Spencer. Quant aux autres, ils doivent dans les meilleurs délais consulter un ORL ou un musicologue. Ou se préparer à changer de trottoir quand on croisera leur route.(Inrocks)


Jon Spencer s’assouplit. Sans mollir. Le blues archaïque comme base revendiquée, depuis toujours dynamité, mais avec à chaque fois plus de finesse (objectivement, les débuts du Blues Explosion n’étaient que du mauvais Cramps), s’ouvre logiquement à ses petits frères eux aussi chenus. Le rythm' n' blues et la soul, descendants aux hanches plus lascives, aux articulations mieux huilées, aux moiteurs plus douces, aux touchers moins rudes, ont fini par attirer le Blues Explosion dans leur capiteux sillage. Si Jon perd en abrasion dans son nouveau jeu de séducteur qui lui sied comme un gant, la machine Blues Power, hier arme de guerre, godasse coquée qui tapait sans retenue dans les côtes de la musique aux douze mesures pour l’obliger à se secouer, semble remplacée par un étrange assemblage d’un chouettos mocassin bicolore au pied gauche, et, tout de même, d’un botillon crotté au pied droit. La métamorphose (partielle) la plus étonnante est sans doute dans la voix, qui prend même des intonations à la Lloyd Cole (c’est dire) sur Do You Wanna Get Heavy ou se la joue soul haut-perchée dans Magical Lovers. Rassurons-nous, certains titres, dont l’hypnotique et sourd Talk About The Blues, le percutant Bernie ou le bien nommé Attack restent insidieux à souhait et même les chansons les moins musicalement incendiaires gardent une légère aura de danger et la possibilité d’une perte de contrôle spontanée. Le Blues Power se civilise, cligne de l’œil aux jeunes filles sans leur mettre directement la main au panier. Il n’en est sans doute que plus dangereux pour la bonne moralité publique. (Magic)
Après le très cru Now I Got Worry, album stupéfiant de 1996, la presse américaine veut faire de cet Acme un écho de la commercialité et hip-hopabilité d’Orange (1994). Euh, oui et non. Oui, l’inclusion de quelques remixeurs extraordinaires (Alec Empire, Dan "The Automator" Nakamura, et -pouah- Steve Albini) rend Acme plus mécanique. Mais, non, JSBX ne retourne ni en arrière avec Acme ni vers une accessibilité étendue. Rempli de cris typiquement Spencer-esques ("Thank ya very much, ladies and gentlemen!" ou bien "Rock and Roll! Awright!!"), cet album scintillant explore des rythmes carrés de techno/hip-hop et les artifices imprévisibles des remixages, mais les riffs punkifiés et les blooze Elvis-ifiés sont toujours les bienvenus chez Monsieur Explosion. Bien que 1998 fut une année de manipulations électroniques dans la musique rock (avec Sonic Youth, les Little Rabbits, les High Llamas, Root de Thurston Moore, etc.), seuls les Exploseurs ont su garder l’émotion frappante jusqu’à la dernière molécule de leur musique. Aucun artiste -même l’admirable Beck- ne baise autant d’amants tels que le blues, le hip-hop et le punk aussi fréquemment et aussi funkemment que JSBX. Vive le roi. (Popnews)
bisca
8
Écrit par

Créée

le 1 avr. 2022

Critique lue 37 fois

bisca

Écrit par

Critique lue 37 fois

Du même critique

Le Moujik et sa femme
bisca
7

Critique de Le Moujik et sa femme par bisca

Avec le temps, on a fini par préférer ses interviews à ses albums, ses albums à ses concerts et ses concerts à ses albums live. Et on ne croit plus, non plus, tout ce qu'il débite. On a pris sa...

le 5 avr. 2022

3 j'aime

Santa Monica ’72 (Live)
bisca
7

Critique de Santa Monica ’72 (Live) par bisca

Ça commence avec la voix du type de KMET, la radio de Santa Monica qui enregistre et diffuse ce concert de Bowie, le 20 octobre 1972. « Allez hop on va rejoindre David Bowie qui commence son concert...

le 27 févr. 2022

3 j'aime

Taormina
bisca
7

Critique de Taormina par bisca

Taormina, perle de la Méditerranée, disent les guides touristiques à propos de cette belle endormie sicilienne, bordée par le volcan Etna. Taormina, perle noire dans la discographie de Murat, dira la...

le 5 avr. 2022

2 j'aime