Je le répète souvent à qui veut bien m’entendre, il n’y a rien de mieux pour s’imprégner de l’univers musical d’un artiste que l’écoute complète d’un de ses albums. Il m’est difficile de déclarer apprécier tel ou tel artiste si je n’ai pas au moins écouté un de ses albums en entier. Et évidemment, rien de mieux que de l’écouter plusieurs fois pour se faire une idée durable. Chaque expérience est différente : parfois, le coup de cœur est instantané mais ne tiendra pas sur la durée ; parfois, la première écoute est rebutante mais sera récompensée par quelques pépites découvertes au fur et à mesure des écoutes ; parfois, votre première impression vous force à lâcher l’affaire pour de bon; et parfois, un album s’impose à vous comme une évidence : il fera maintenant partie de votre vie.


C’est ce qui vient de m’arriver avec le dernier album du groupe américain The War On Drugs, nommé A Deeper Understanding, et sorti le 28 août 2017. J’ai découvert ce groupe en 2014 avec la publication de leur album Lost In The Dream, qui fut un grand succès critique et qui le propulsa sur le devant de la scène indie rock. J’avais déjà beaucoup aimé cet album dès sa sortie, et, malgré un petit manque de liant qui rend certains titres oubliables, il m’arrive encore assez souvent de l’écouter en entier, ou au moins les trois immenses titres que sont Red Eyes, An Ocean In Between The Waves et Eyes To The Wind.


La musique du groupe est entièrement composée et produite par son chanteur Adam Granduciel, qui est clairement influencé par des légendes nord-américaines du siècle dernier : Bruce Springsteen, bien sûr, dont le souffle épique et la sensibilité sont reconnaissables à chaque instant, Neil Young, qui lui a transmis l’amour du son parfait et des longs solos de guitare électrique, et Bob Dylan, de par la voix et la manière de chanter d’Adam Granduciel. Est-ce pourtant une musique du passé ? Je ne crois pas, et je dirais même que le compositeur arrive ici à toucher une certaine forme d’universalité : un titre comme Thinking Of A Place, longue balade qui s’étend sur plus de 11 minutes, pourra être apprécié dans encore vingt ans au moins, comme il aurait pu être apprécié autant dans les années 60.
La raison qui rend cette musique universelle est selon moi la faculté d’Adam Granduciel de toucher principalement à l’imagination de son auditeur.


Il y a plusieurs façons d’exprimer ce concept d’imagination. L’une des remarques les plus fréquemment utilisées pour décrire la musique du groupe est qu’elle est faite pour être écoutée lors de longs trajets en voiture. C’est pour moi un compliment précieux, car cela veut dire que l’on associe cette musique à de futurs moments d’évasion, de calme, d’émotions et de contemplation. On s’imagine l’écouter à nouveau dans telles ou telles conditions, une envie se crée, et je peux vous confirmer que l’expérience en vaut la peine : mon écoute de l’album lors de mon trajet de 10 heures en avion reliant la France au Canada fut bien le moment où j’ai compris que cet album m’allait devenir essentiel et m’accompagner pour longtemps.


Si la musique du groupe est faite pour voyager, je dirais aussi qu’elle fait voyager. Il est en effet bon d’écouter The War On Drugs au calme, chez soi, laissant ses idées vaguer au fil des morceaux. Cet album regorge d’une musique qui prend son temps (il dure 1h06 mins pour seulement 10 titres) et possède une atmosphère unique, où les instruments sont nombreux mais toujours bien équilibrés, où le son occupe tout l’espace sonore mais n’est jamais agressif, où la voix d’Adam Granduciel devient presque un instrument à part entière. Il n’y a rien à interpréter, pas de propos à décrypter, pas de message à analyser. Dans la critique de l’album réalisée par un chroniqueur du site américain Stereogum, j’ai lu une remarque qui m’a bien fait réfléchir : il disait explicitement ne se souvenir d’aucune des paroles du titre Red Eyes (2014) , malgré l’avoir écouté un nombre incalculable de fois. Cela pouvait sonner comme un défaut, mais je me suis très vite rendu compte qu’il en était de même pour moi. Je ne fais jamais attention aux paroles du groupe, celles-ci sont pour moi juste un des éléments sonores de chaque morceau. J’ai réalisé que j’écoute la plupart du temps la musique du groupe en m’évadant dans mes pensées, souvent comme dans un rêve, l’atmosphère cotonneuse du son aidant. Or chaque rêve est un voyage en soi, une sorte de parenthèse où le sens n’est plus le maître mot mais où l’imagination prend place.


Ainsi, il n’y a pas besoin de connaître et aimer Bruce Springsteen, Neil Young, ou Bob Dylan pour apprécier cet album. Il n’y a pas besoin non plus d’être un expert en musique rock ou en musique tout court. Je pense sincèrement que ce disque a le pouvoir de plaire à à peu près tout le monde.
A chaque nouvelle écoute de l’album, voici ce que je ressens : tout s’enchaîne parfaitement, chaque morceau est à sa place, les instruments se complètent les uns aux autres, c’est beau, putain qu’est ce que c’est beau, mais je n’y prête pas vraiment attention. L’album est en finalement pour moi un support, qui m’inspire, qui me donne du baume au cœur, et qui me fait voyager, vous l’avez compris. Il m’est difficile d’expliquer pourquoi j’aime tant cet album, et encore plus d’en retenir seulement un titre ou deux. C’est peut-être justement cette difficulté que j’ai à expliquer de façon simple et descriptive ce que j’aime dans cet album qui le différenciera de tant d’autres excellents albums que j’ai pu écouter auparavant. Cela, seul le temps le dira, mais il ne fait aucun doute qu’il est déjà pour moi le meilleur album que j’aurai pu entendre cette année.


Mais bon, malgré ce que j’ai dit plus haut, s’il ne fallait retenir qu’un titre, ce serait In Chains, peut-être la meilleure chanson jamais écrite par monsieur Granduciel. Ecoutez au moins ce titre, vous ne le regretterez pas.

Stéphane_Prouvost
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le 18 sept. 2017

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