Attention, rock très, très méchant ! Cinq attentats déjà à leur actif et c'est avec une hargne intacte que les Blood Brothers continuent à faire la bagarre ! Pour prendre la mesure de la folie furieuse de ce groupuscule terroriste, il faut avoir été confronté, dans un contexte live, au spectacle glaçant de ses deux prédicateurs à peine pubères, Jordan Blilie et Johnny Whitney, s'époumonant la main sur l'oreille, tels des Gilbert Bécaud autistes et sous acide, des Monsieur 100 000 Volts Dans Ta Gueule. Les disques, cela dit, ne sont pas mal non plus, occasions d'affiner un tantinet le message, tout chez ces jeunes émeutiers n'étant pas qu'ultraviolence et nihilisme. Là où les concerts et les premiers albums terrorisent par leur pure sauvagerie, Young Machetes joue à fond la carte du syndrome de Stockholm : chaque morceau recelant au bas mot trois ou quatre sautes d'humeur (angry !... happy !... sad !... VERY ANGRY !), on est à la fois terrassé par l'agressivité ambiante et séduit par un discours versatile et tortueux, prodigue en revirements et surprises de tous genres - mélodiques, vocales, rythmiques, linguistiques, atmosphériques...

Le moins que l'on puisse écrire à propos des Blood Brothers, c'est que ces gamins déments ne tiennent pas en place. Dès l'inaugural Set Fire to the Face on Fire, ils se brûlent les doigts en jouant avec de grosses allumettes pour barbecue et, d'emblée, c'est la panique : leur disque s'embrase, tout le monde se met à courir façon poulet décapité, en hurlant au feu - Fiiire ! Fiiiiiire ! - et en slalomant vaille que vaille entre les poutres enflammées et les boules de cendres incandescentes. Notre chorale de torches humaines se calme une première fois - enfin... tout est relatif - au bout de cinq minutes avec le sautillant et lyrique Laser Life qui, l'espace d'une seconde, fait penser à du Arcade Fire repris par les Gremlins. Vient ensuite Camouflage, Camouflage, où des harmonies de gorets à l'abattoir s'effacent à mi-chemin devant un passage chanté d'une voix très féminine, sur fond de piano en majesté ; accalmie qui débouche elle-même sur une minute de rock puissant, presque classique. Puis l'incendie redouble de violence et ça hurle et ça pétarade de plus belle.

La suite est à l'avenant, on frôle constamment le délire, les coq-à-l'âne s'enchaînent sans relâche : si Vital Beach évoque des images de camisole et de cellules capitonnées, le synthé primesautier qui, cinq secondes plus tard, annonce Spit Shine Your Black Clouds donne envie de sortir s'acheter une glace à la fraise en gambadant comme un Schtroumpf sous Prozac - évidemment, les nuages noirs du titre ne tardent pas à débouler et à noyer le gentil lutin sous une grêle électrique. Ce rodéo, exténuant mais follement grisant, s'achève par deux longs morceaux apaisés, balades tendues à la Blonde Redhead, aussi intenses que le pétage de plomb généralisé qui précède.

De cette débauche d'apparent n'importe quoi filtre au final une poésie surréaliste, torturée et plutôt cool : les titres sans queue ni tête (Fous le feu au visage en feu, Nous chevauchons la foudre squelettique, Enorme Kalachnikov en or...) et les vers apocalyptiques - au hasard : « We watch crabs and lobsters eat a dead cop's throat » (« Nous regardons des crabes et des homards bouffer la gorge d'un flic mort ») ou « We march like insects built of wood and wires / Blowing out cities like birthday candles » (« Nous défilons comme des insectes de bois et de câbles / Soufflant des villes comme les bougies sur un gâteau d'anniversaire ») - ont beau sentir l'écriture automatique, les images évoquées s'avèrent étrangement engageantes.

A ce stade de la chronique, un avertissement s'impose : Young Machetes en écœurera certains, en épuisera beaucoup. Le marché du punk spasmodique et du noise-rock lunatique a néanmoins trouvé son nouveau maître, synthèse idéale et détonante des qualités énergisantes distillées jadis par le hardcore progressif d'At The Drive-In, par les impros délirantes du Hot Hot Heat d'avant la hype et par le cocktail hélium + amphètes des regrettés Brainiac - influence flagrante sur les extraordinaires We Ride Skeletal Lightning et Johnny Ripper. Sans renoncer à l'abrasivité de leurs débuts trashcore, les Blood Brothers ont consenti à modifier superficiellement leur formule, y injectant un rien d'onctuosité.

Jusqu'ici, ces enfants terribles de la scène de Seattle étaient vraiment trop brouillons pour susciter un enthousiasme inconditionnel. Affirmer que les pièces du puzzle se mettent enfin en place donnerait une image trompeuse de ce foutoir grandiose et chaotique et pourtant... le groupe donne l'impression, pour la première fois de sa carrière, de savoir ce qu'il fait. Rétrospectivement, chaque disque semble l'avoir rapproché de cette pop unique en son genre, juvénile, tranchante, exaltée et frénétique. A siffloter sous la douche ? Hem, pas tout à fait... à beugler plutôt, en se balançant au pommeau, en défonçant la cabine avec les pieds, en foutant du shampooing jusqu'au plafond. La claque du siècle, peut-être pas, mais un coup de boule qui laiffera des trafes, fa oui, ve fuis là pour le vurer !

(posté précédemment sur kweb.be)
Kaboom
8
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le 7 nov. 2012

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