Unicorn
7.2
Unicorn

Album de T. Rex (1969)

Un mot est descendu du gris étoilé
Le mot a dit « Souriez »
Et puis s’est dissipé


Ce presque-haïku qui figure modestement au dos de la pochette dit ce qu’est ici la figure de la Licorne, qui va servir de trame ténue à un album à peine incarné, fait avec trois bouts de ficelle, des arabesques gracieuses et un harmonium. Moins un animal fabuleux qu’un Verbe, insaisissable comme lui, mais fondateur et créateur d’un univers merveilleux aux contours mouvants où il s’incarne fugitivement par fragments de légendes inventées puisant dans un fonds de références auto-constituées.


Androgyne et allusive dans les morceaux où elle apparaît, la Licorne se signale par un tempo dansant nonchalant ou rapide qu’épousent le vibrato tendre et fragile de Bolan et ses visions splendides et saugrenues, valorisé par les percussions inventives et les backings éthérés ou déjantés de Steve Took, pour la première et dernière fois musicien à part entière dans le duo (ou le trio, si on prend en compte la production aussi minimaliste qu’inspirée de Tony Visconti). Ca fait des gargarismes et des arabesques, ça roucoule et ça trépigne, c’est rugueux, c’est soyeux, ça évoque en même temps un oiseau qui s’envole et un cheval qui piaffe, c’est… tribal, antique, futuriste, intemporel. Les autres morceaux, plus en retrait, agissent comme des respirations, simples mais entêtantes, des bouffées de nature et de rêve.


Sans rapport avec la période acoustique de Tyrannosaurus Rex qui restait à la base du rock speedé à la guitare sèche, sans rapport avec la période électrico-guerrière de T. Rex qui devait mener à un cul-de-sac répétitif et finalement dégénérescent - et sans rapport, aussi, avec les autres trips de ses contemporains, Unicorn est un authentique nowhere album, une œuvre à la patine à la fois ancienne et uchronique, dont seul le Decades de Joy Division peut donner une vague idée.


Très variées, ses chansons présentent pourtant, non une cohérence, mais un même air de famille, le genre de capharnaum précieux qui ne se rêve que dans la caverne d’Ali-Baba pour peu qu’on ait en soi le bon sésame. Délicat, insulaire, Unicorn est à l’image de sa pochette : simple et mystérieux, noyé dans un sfumato qui lui donne les contours sereins, moëlleux et imprécis de La Joconde ou de La Laitière. L’oeuvre de deux musiciens qui se savaient beaux mais n’y attachaient pas d’importance, car ils se savaient aussi maîtres et parties d’un univers où tout le monde l’était. Une fugace parenthèse en équilibre entre un monde qui n’a jamais existé et un monde sur le point de disparaître. Un archipel de l’Atlantide.


Magique. Mot paresseux, galvaudé, auquel Unicorn rendit en 1969 un peu de tout son sens.

OrangeApple
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Albums, Les meilleurs albums des années 1960 et Les plus belles pochettes d'albums

Créée

le 4 févr. 2017

Critique lue 249 fois

5 j'aime

OrangeApple

Écrit par

Critique lue 249 fois

5

Du même critique

Whiplash
OrangeApple
9

Le sens du martyre

(Attention, SPOILS en nombre vers la fin – inséparables de l’analyse) Terence Fletcher, c’est l’anti-John Keating. Il n’encourage pas l'épanouissement des personnalités, il les rabaisse, il...

le 17 mars 2017

36 j'aime

10

Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band
OrangeApple
10

Ceci n’est pas une critique

When I was younger, so much younger than today, ma cousine, cinéphile distinguée mais pas vraiment versée dans l’art musical, m’a emmené voir Help !, le film. J’ai ri comme un bossu sans vraiment...

le 4 oct. 2016

29 j'aime

7

Easy Rider
OrangeApple
4

Darwinisme

S’il y a bien un argument que je trouve idiot et dont je n’use jamais contre une œuvre, c’est : « Elle a vieilli ». Elle est bien ou elle est pas bien, je l’aime ou je l’aime pas, si qu’on s’en fout...

le 3 sept. 2017

23 j'aime

14