Tout naît / Tout s’achève dans un disque par denizor

Visionnaire, poétique, politique, créateur centripète et boulimique, revoici Gontard dans un nouvel album qui aspire les genres et les époques pour mieux recracher une oeuvre personnelle.
Gontard


Certains chantent, d’autres parlent. Gontard est de ceux-là, il ne chante pas, il déchante. Il le fait de manière musicale, en rythme dans un spoken word qui ressemble au journal de bord d’un jeune poète Houellebecq-ien dépressif (excusez le pléonasme). Dans sa soif de création et de musique, il a d’abord été en duo avec son frère devenu depuis Chevalrex (sous le nom des frères Nubuck) puis seul, à expérimenter chez lui, à bidouiller avec des samples. Finalement, Gontard s’est entouré d’un vrai groupe – que voulez-vous le spleen et le désespoir, cela se vit quand même mieux à plusieurs. La bonne formule, en tout cas, pour traduire la complexité de ses tourments et de ses visions musicales. Cette nouvelle association avait abouti à la sortie d’un disque, Repeupler, météorite noire dans le paysage de la chanson française.


Définition :
Gontard : un artiste en manque de Lithium ayant trouvé chez Ici d’ailleurs la maison idoine pour un projet transversal et transgressif ; celle-là même qui a recueilli Michel Cloup, artiste en mal d’Expérience, autre maitre es spoken word qui mélange dans ses textes, l’intimisme et le sociétal.


Voici désormais Tout nait/tout s’achève dans un disque qui entérine définitivement les choix musicaux de son auteur. Gontard crée un univers musical, complexe et cohérent. Une force centripète où tout est attiré vers le centre et qui aboutit à un oeuvre unique. On le savait déjà, le Valentinois a écouté beaucoup de musique, faisant le lien entre toutes les décennies musicales depuis les années 60 à aujourd’hui ; une digestion lente qui permet à Gontard de ne pas être rattaché à un genre en particulier : rock, punk, jazz, électro, cold wave (le dernier Tout nait/tout s’achève dans un style très Cure) ; même la musique de film d’un Henri Mancini ou d’un Michel Magne (Arcade Fire) peut trouver des échos ici. Sur le guilleret Singapour, Gontard fait souffler un parfum désuet d’un rock sixties version exotique. Sur Ostalgie, il évoque les années 70 de Marchais et Elkabbach. Lettre d’amour à ma poupée vogue lui vers les rivages grecs ou turcs, une touche world rappelant les Canadiens d’Esmerine.


Epoque, genre, géographie, tout ceci n’a finalement pas d’importance, Gontard devient un trou noir qui aspire et nourrit pour recracher un projet unique, un vrai destin personnel. De même avec les instruments qui composent le disque. Machines, guitares, cuivres…un album très arrangé pour un être dérangé, victime aussi bien de la solitude amoureuse qui oblige à des pis-aller dans le rêve (Alerte enlèvement en forme de fuite en avant) ou le plastique (real doll, Lettre d’amour à ma poupée) que des dégâts du libéralisme qui nous transforment en zombie (Vivres).


Tout serait ainsi noir et désespéré dans le monde vicié de Gontard ? Le typographe pointilleux aura peut-être remarqué un point de détail : avec cet album, Gontard a perdu le ! qui ponctuait son pseudo. Comme s’il n’était plus étonné d’être là, de faire de la musique en prise avec toutes les sonos mondiales (pour reprendre sa propre formule). Comme si la surprise d’être vivant et musicien n’avait plus lieu d’être ; Gontard sait qu’il est là pour durer, sans peur du suicide : l’ombre de Jean-Luc Le Tenia, modèle et référence auquel il avait rendu hommage avec Mausolée Tape, veille encore ici, une nouvelle fois, dans une énergie créatrice qui lui fait reprendre deux textes de l’artiste défunt. Même si la vie semble plus ressembler à un fardeau qu’à un cadeau, Gontard vit bel et bien et fait de la musique. L’album aurait dû s’appeler le Fiasco – du nom de son premier titre. Et justement, il ne s’appelle pas ainsi, preuve que tout n’est pas encore perdu et que l’espoir fair vivre.

denizor
9
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le 5 juil. 2018

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