Une photographie en gros plan d'un morceau de pelouse bien verte. Pas de nom de groupe, pas de titre. Rien. Voilà qui aiguise la curiosité ! Alors on ouvre ce vinyle en gatefold... la même image encore – et sans plus d'indications ! Il faudra aller jusqu'au dos pour enfin découvrir le nom du groupe, de l'album et la liste des titres.


Living Music. Voilà bien un nom de groupe qui ne me dit rien ! Pourtant des groupes ayant œuvré en 1972 (date originale de sortie), j'en connais un rayon ! Par contre le nom de l'album me met la puce à l'oreille : To Allen Ginsberg. L'ami qui me l'a offert n'ignorant pas mon affection toute particulière pour la Beat Generation, je comprends bien que là est la raison du cadeau.


Mon intuition se confirme rapidement. Le groupe n'est pas très connu et il est difficile d'avoir des infos dessus. J'imagine deux raisons à cela : c'est un groupe italien (et on ne peut pas dire que les groupes italiens des années 70 soit très connus en France) et il n'a commis qu'un seul album, celui-ci, qui en plus est très très rare de nos jours (pour vous donner une idée, seuls six membres le possèdent sur Discogs et il se vend entre 300 et 850€). Dans ces cas-là on dit merci à l'ami qui offre pareil curiosité et merci au label Roundtable pour l'avoir ressorti de l'oubli à un prix accessible.


Le groupe, composé de trois femmes et de trois hommes, était donc italien et l'album fut enregistré à Rome dans les studios du label RCA. Venaient s'y adjoindre des musiciens additionnels pour former un vaste collectif oscillant entre musique, littérature et activisme politique (au sein de la contre-culture et du mouvement étudiant italien) qui donnaient semble-t-il pas mal de concerts à l'époque.


En fait, si l'album est nommé To Allen Ginsberg, il n'est pas seulement dédié à Ginsberg, il en reprend surtout les poèmes : le célébrissime « Howl », « Song », « Lysergic Acid » et « Mandala », le tout entrecoupé de compositions instrumentales originales et d'un « Haïku » construit de sept haïkaï par Suju, Yawa et Takeji, trois poètes japonais du XXe siècle.


Sans surprise, l'album débute par « Howl » (ou plus exactement par un medley de chaque début des trois sous-parties et du post-scriptum) et donc par ce vers fantastique : « I saw the best minds of my generation destroyed by madness... »


On entre de plain-pied dans l'esprit de cet album qui musicalement ressemble bien aux albums libres et expérimentaux que produisait l'époque. Un simple coup d’œil à la liste des instruments utilisés vous donnera une idée : on retrouve bien sûr des guitares acoustiques et électriques, une basse, un piano, un synthé mais aussi une guitare à douze cordes, un sitar, une autoharpe, un marimba, un cümbüş (instrument à cordes pincées turc), un tamboura (instrument à cordes pincées indien), un setâr (luth iranien), un sarangi (sorte de vièle à archet des régions himalayennes), des tablas (percus orientales), un vibraphone, un tam-tam, des congas, un güiro (percu cubaine), un tambourin, une flûte et même quelques cuivres pour renforcer la touche jazzy (trompette et saxophone ténor). Vous avez saisi l'ambiance ?!
(rq. : une chouette photo à la fin du livret en montre un bon aperçu).


Dès lors on pourra qualifier leur musique de folk psychédélique, ou d'acid folk, avec quelques touches jazzy et funky. Pour l'époque, on parlera donc de musique avant-gardiste mais qui, paradoxalement, possède aujourd'hui le charme désuet des années hippies. Mais attention, pour ceux que ces termes rebuteraient, il n'y a rien d'inécoutable ici, en témoigne les belles ballades folk que sont « Song » et « Lysergic Acid ». Même si bien sûr, « 1968 » et « Mantra » sont quand même un peu barrées.


La reproduction du livret original est vraiment sympathique, avec paroles, photos du groupe et de Ginsberg, deux textes de présentation et des petites notices explicatives en 4/5 lignes pour chaque chanson (en anglais et italien). Excellent moyen de nous aider à saisir les intentions musicales, comme sur « 1968 » : Le sax signifie l'homme seul et paranoïaque, qui est obligé de vivre dans un monde violent. Un chœur psalmodiant tente de soulager cette violence mais... etc, etc.


En conclusion, on pourra noter que si Kerouac a fricoté avec les jazzmen et Burroughs avec les punks, il n'est pas étonnant que la poésie de Ginsberg ait un jour rencontré la musique psychédélique. D'ailleurs, il y a cinq ou six ans, au CCAN à Nancy, j'avais moi aussi, avec ce même ami qui m'a offert ce vinyle et qui jouait du balafon, lu quelques extraits de "Howl". Il est peu dire que c'est un texte impérissable, magnifique à lire et qu'il s'accompagne très bien, en jazz, en folk, que sais-je !


To Allen Ginsberg est donc un album, certes très ancré dans une époque révolue mais dont on perçoit encore aujourd'hui l'audace et la générosité (dans l’esprit comme dans la musique) - sorte de pont fantasmé entre l'occident (Europe, États-Unis) et l'orient (Népal, Inde). Et bien que je sois parfois exaspéré par le côté mercantile du retour en grâce du vinyle, je dois avouer que c'est bien grâce à lui que ce genre de pépites ressort du placard !

René-Ralf
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le 8 janv. 2019

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