The Triumph of Steel
6.6
The Triumph of Steel

Album de Manowar (1992)

Kings of Metal constituait l’apogée du groupe, son zénith artistique, la circonférence maximale de l’explosion émotionnelle que les quatre en cuir pouvaient produire, transmettre. Pour reprendre l’analogie de la flèche dardée, il va sans dire que l’album précédent représentait le point culminant que le projectile pouvait atteindre. Symbolisé par Blood of the Kings, ce point culminant est maintenant devenu un point de départ, le point de départ d’une chute inévitable, car même Manowar est soumis aux lois physiques de la chute des corps !

La flèche retombe, elle ne pouvait plus s’élever davantage. Peut-être que Manowar l’a compris, ce qui signifierait le côté sombre et hargneux de l’album. Mais bien que descendante, la flèche ne pique pas lamentablement vers le sol, portée par une navrante et fulgurante chute verticale, non ! elle descend tout doucement, dessinant une courbe faiblement inclinée, et elle continue ainsi à demeurer parmi des hauteurs astrales insoupçonnables, il ne faut pas omettre cela !
Le batteur Scott Colombus et le guitariste Ross the Boss, tous deux emblématiques de l’ère suprême de Manowar, ont quitté le navire. Ils sont remplacés respectivement par Rhino et David Shankle, et cela se ressent forcément au niveau de leurs instruments, le jeu du groupe n’est plus le même, (attention, ça ne signifie pas que l’on passe d’un metal guerrier et majestueux à du jazz d’ambiance ou à de la musette, Manowar reste Manowar, car DeMaio ne bougera jamais !) une page se tourne.

Changement de style, enfin, nuance dans le style pour être plus précis. Comme dit plus haut, Manowar, dans cet opus, fait montre d’une noirceur nouvelle, d’un côté sombre à un degré encore inexploré, comme si, conscients de ne plus pouvoir atteindre le niveau de Kings of Metal, ils chargeaient de venin l’encre destiné à remplir la nouvelle page de leur histoire.

La chanson qui introduit l’album justifie tout ce que je viens d’écrire. Achilles, Agony and Ecstasy in Eight Parts (putain, ce titre pompeux, avec les majuscules et tout, j’adore !), est une adaptation musicale de l’Illiade. Premièrement, il détone avec le reste du répertoire du groupe par sa longueur : plus de vingt-huit minutes. L’introduction donne le ton : une instrumentale majestueuse, parfaite pour se dilater l’égo et s’imaginer arriver en grande pompe sur scène, les bras écartées, et toisant une liesse réunie en masse pour jouir du plaisir de simplement poser les yeux sur vous. J’ai dû écouter cette intro des milliards de fois en fantasmant à ce genre de scénario mégalomaniaque et égocentré. Merci Joey ! Tiens, en parlant de lui, il s’est évidement arrogé un affluent du fleuve, un solo de basse de zinbouinbouin orne le morceau pendant plusieurs minutes, ce qui ne surprend guère. Un solo de batterie aussi. Eric Adams est encore une fois grandiose. Il nous transmet la tristesse et la dignité lorsque, grimé en Achille, il pleure la mort de Patrocle et jure sa vengeance en vaticinant les souffrances qu’il fera endurer à Hector, l’assassin de son bien-aimé. Achilles est un morceau titanesque, colossal, et je me surprends encore à l’écouter de nombreuses fois tant il réussit le tour de force suivant : donner l’illusion que vingt-huit minutes équivalent à trois minutes. Quel bonheur. Ceux qui chouinent que ce morceau est indigeste ont un estomac indigne de Manowar, un estomac fait d’argile, pas d’acier !

Nos quatre bougres s’aventurent ensuite en terre défrichée. Metal Warriors remplit le cahier des charges du groupe, à une chose près. La rythmique cavalière est présente, le chant puissant et aigu d’Adams aussi, la guitare lourde, itou. La seule chose manquante, c’est le sel de Manowar, la patte du quatuor, celle qui nous transcende et nous fait rentrer dans un état second. Encore donc une chanson de remplissage. Ride the Dragon est du même acabit, seul le tempo est plus rapide. Ce morceau contraste toutefois par son thème orienté heroïc-fantasy, une facette encore inexplorée jusque-là.

The Spirit Horse of the Cherokee fusionne les caractéristiques des deux précédentes chansons mais cette fois, la substance Manowar est présente. Le chant, encore et toujours, est monumental. Le thème abordé, les Natifs Américains, est inédit. Ici, la formation décide d’allier sa thématique guerrière à l’histoire des cherokees, et Adams, grimé en peau rouge, souhaite la mort de l’homme blanc en invoquant Grand Esprit et l’Oiseau-Tonnerre. M’indignerai-je parce que je suis un homme blanc ? Nullement. Je laisse ça aux hermétiques à l’art qui chouinent face à Pleasure Slave. Le refrain est grandiose, le thème est déroutant, et le final, où les cris divins du chanteur s’entrechoquent avec la grosse caisse qui pétarade sous les coups supersoniques des pédales est indescriptible. Une bourrasque électrique qui ferait fuir les Cavaliers de l’Apocalypse en les rendant penauds face à tant de fureur.

Et la fureur ne s’estompe nullement avec
Burning. Au contraire, c’est avec cette chanson, très méconnue, qu’elle atteint son pinacle. Pour moi, c’est ce morceau qui résume le mieux l’album : un concentré de haine, d’humeur vindicative, une belligérance née d’une rancœur fermentée pendant longtemps, trop longtemps. On ressent ici le fruit d’une colère sourde et entretenue, c’est un morceau qui transpire le ressentiment, Eric Adams y campe un personnage qui ne veut qu’assister au chaos et au désordre. Combattre ne l’intéresse même plus, tout ce qu’il souhaite, c’est assister à la calcination de l’être détesté de ses propres yeux et en retirer de la jouissance. Un véritable diamant noir mésestimé et méprisé.

On retrouve les valeurs sûres du groupe avec Power of Thy Sword. La corde émotionnelle, ils savent encore la faire vibrer, pour peu que l’on soit sensible à ce qu’ils proposent. En tout cas, sur moi, ça fonctionne parfaitement. Les thèmes traditionnels au groupe sont tous là : on y parle de sang, de bataille, d’épée, de guerrier, etc. Soutenu par un rythme solide, rapide et inébranlable, les accords de guitare, aidé par des chœurs et d’autres instruments à vent invoqués pour ajouter une bonne dose de grandiloquence à l’ensemble. Comme souvent, le chanteur qu’on ne présente plus dépose tout son talent pour nous prendre aux tripes avec ses cordes vocales. Le pont est dantesque, les imprécations qu’Eric Adams chante dessus sont étourdissantes de puissance et de passion. Du grand art, encore une fois.

The Demon’s Whip combine la haine viscérale contenue dans Burning avec l’aspect épique inhérent au groupe. Les paroles, axées encore une fois sur un mysticisme tournant autour de la sorcellerie, la damnation et la domination par la force sont un véritable trésor. Chanter ces paroles de concert avec Manowar équivaut à atteindre le Septième Ciel. On prend un plaisir dantesque à réciter ces vers obscurs en étant accompagné par l’inexorable rythmique au tempo modéré. Le tempo accélère de manière inattendue, les blanches deviennent des doubles croches sans trop que l’on comprenne pourquoi. Dispensable, selon moi. La chanson aurait dû s’arrêter avant, elle était parfaite de Manowarderie !
Puis l’album se clôt avec Master of the Wind, une ballade, style auquel le groupe semble s’accoutumer. Adams chante bien, les accords fonctionnent, le propos est un peu niais (quelle ballade n’est pas maculée de candeur ridicule ?), mais bon, ça reste agréable à écouter. Ceux qui ont aimé l’effroyable sauvagerie de l’album peuvent regretter qu’il n’y en ait pas eu davantage. Ceux qui s’en sont trouvés perturbés pourront se réfugier derrière elle. Ceux qui aiment tout s’en foutent et prennent ce qu’il y a à prendre.

Œuvre du changement, premier noircissement de la page vierge, The Triumph of Steel possède une noirceur et une fureur qui ne laissent pas indifférent. Achilles, Agony and Ecstasy in Eight Parts m’a marqué à vie, et je l’écoute encore de nombreuses fois, malgré sa longueur. Malgré le bouleversement dans la formation, on ne ressent aucune différence majeure, surtout des nuances dans le jeu musical, dans le style. Manowar reste Manowar, et la pointe de la flèche, malgré sa chute, demeure capable de pouvoir frôler le faîte de la voûte céleste. Quid de la suite ?

Ubuesque_jarapaf
8

Créée

le 8 août 2022

Critique lue 31 fois

1 j'aime

Critique lue 31 fois

1

D'autres avis sur The Triumph of Steel

The Triumph of Steel
Ubuesque_jarapaf
8

Une page s’est tournée.

Kings of Metal constituait l’apogée du groupe, son zénith artistique, la circonférence maximale de l’explosion émotionnelle que les quatre en cuir pouvaient produire, transmettre. Pour reprendre...

le 8 août 2022

1 j'aime

Du même critique

Considérations sur la France
Ubuesque_jarapaf
9

Remettre l’église au centre du village

Quel intérêt d’être royaliste légitimiste aujourd’hui ? Aucun, si ce n’est pour le folklore et pour se mettre en marge de la société de la consommation sans être un saltimbanque qui se drogue. Quel...

le 25 sept. 2023

2 j'aime

Leftoverture
Ubuesque_jarapaf
9

Pain de grande qualité

Tout le monde connaît Carry on Wayward Son, c’est un morceau mythique qui donne forcément envie de découvrir ce que Kansas sait faire d’autre. C’est dans cette optique que j’ai écouté Leftoverture,...

le 22 sept. 2023

2 j'aime

Kleo
Ubuesque_jarapaf
1

Belmondo, Seagal, Norris et Bruce Lee ne font pas le poids.

J’aurais pu mentionner Popeye aussi, mais celui-ci ne devient invincible qu’une fois après avoir ingurgité des épinards, faiblesse qui l'exclut donc de la perfection. Bugs Bunny, j’y ai pensé aussi,...

le 21 oct. 2022

2 j'aime

2