Dans cette œuvre, Kevin Ayers construit quelque chose de profondément touchant qu’il n’a jamais mené aussi singulièrement, une immense beauté noire, s’écrasant contre le désespoir en cherchant la lumière.


L’œuvre démarre d’une façon proche des créations précédentes, alternant des morceaux légers, fougueux et hésitants, avec d’autres plus percutants, tout en exploitant une palette de registres différents, ce que la scène de Canterbury faisait magnifiquement.

On éprouve la maîtrise musicale et la profonde créativité des musiciens avec lesquels Ayers s’entourait.

L’oeuvre marquait entre autres la première collaboration avec Ollie halsall. Le formidable guitariste à la créativité démesurée, et dont toutes les contributions avec Ayers, tant pour sa technique de jeu que pour sa grande sensibilité, sont inoubliables (il est ici uniquement présent sur Didn’t feel lonely till I thought of you).


Mais ces morceaux (Didn’t feel lonely till I

thought of you, Day by day, See you later et Balbering blues) sont une surface, un début.


Puis le reste s’enfonce dans une

atmosphère profonde, quasiment abyssale.

Ayers nous narre son si précieux monde des rêves. Il plonge tout entier dans le chaos teinté de peur et d’euphorie qu’incarne la longue et magnifique nuit.

Dès les premières notes de Everybody’s sometime and some people’s all the time blues l’angoisse nocturne s’installe, sous les harmonies froides et les fragiles notes de Mike Oldfield.

La nuit est là, it Begin with a blessing/ Once I awakened/ But it ends with a curse nous transporte dans un rêve, prenant des allures de cauchemars, débordant de rage, reconduisant au doux calme de la veille, et finissant enfin par revenir à la lumière.


Mais ce ne sont que les prémices de la veille, et la nuit s’annonce de nouveau profonde.

Les Confessions de Doctor Dream sont les pièces maîtresses de l’œuvre.

Elles débutent sous une grande et pesante atmosphère ésotérique (dans laquelle Nico semble parfaitement en harmonie, ou en dissonance) avant de se diriger vers une percutante mélodie nous renvoyant vers le calme, une touche apaisée, à nouveau, face à ces rêves frénétiques.

La suite nous révèle toute la mélancolie propre à la veille. L’évolution de l’atmosphère de cette dernière en fait un magnifique paysage. Nous voilà sous une mélodie à l’orgue comme sous une douce tristesse avant de partir vers un lieu éclaté, en une plage remplie d’arrangements, cette fois ci d'un ensemble d’orgues.


Enfin, surgit la pièce finale. En partant d’un motif mélodique qui se répète continuellement (non sans évoquer la fascination de Ayers pour la musique minimaliste) nous nous enfonçons de plus en plus dans la fureur: la mélodie devient entêtante, les arrangements se font de plus en plus marqués, les percussions grondent, les chœurs se déchirent, se changent en hurlements, se superposent aux orgues, on s’élève vers une fin de rêve terrible.


Puis tout s’affaiblît, les ultimes notes résonnent.

Après cet immense cauchemar, que nous reste-il ?

Two goes into four est cette ultime berceuse pleine d’une beauté froide, le dernier regard sur le vide, avant de disparaître définitivement dans un long silence.


Après cette écoute, il ne reste que la mélancolie cotonneuse qui nous submerge à la sortie de l’un de nos rêves.


La nuit s’en est allée, le rêve est terminé, Kevin Ayers est arrivé à la fin d’un magique voyage.


Loin d’une expérimentation purement formelle,

cette œuvre à mon sens sublime le monde qui se révèle à nous dans l’introspection, un monde chaotique et plus profond. Ces faibles masques que nous tentons de conserver (comme la pochette semble le suggérer) parfois s’effondrent et laissent entrevoir l’autre côté.

Partant de ses textes mystiques, Kevin Ayers dresse un portrait jonché d'amertume du monde hors de nous, se faisant, nous nous enfonçons dans notre moi profond (symbolisé par l’esthétique du songe), un lieu au sein duquel l’horreur et l’incompréhension sont finalement tout aussi inévitables, et dans lequel nous errons alors, pour toujours seuls.

Mais lorsque cette exploration atteint les plus profonds abysses, que l’obscurité et l’absurdité semblent avoir enfin triomphé de tout, elle offre une ultime lumière, une dernière clarté, comme la découverte inespérée après l’errance et avant le vide. Le chaos nous aurait alors conduit à une beauté nouvelle, et la nuit ne serait ainsi jamais une vaine froideur.

Kevin Ayers sublime l’abîme, ce lieu atteint après s’être plongé au plus profond de soi même, et dans lequel toutes les angoisses se retrouvent en un immense chaos. Une place nocturne torturée où nous pouvons quelque part y apercevoir Lady Rachel.


À la question qu’adresse le veilleur à la jeune fille (« What will you dream of tonight ? ») cet album semble être une réponse.


Tout ce que j’ai écrit ici n’est évidemment que mon interprétation; j’ai souhaité avant tout révéler ce qui fait une si belle œuvre, et un si grand musicien. Kevin Ayers insuffle à la musique, aux sons, une poésie délicieuse.

Momamma-Scuba
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 13 janv. 2024

Critique lue 29 fois

Momamma Scuba

Écrit par

Critique lue 29 fois

D'autres avis sur The Confessions of Dr. Dream and Other Stories

Du même critique