Plus je découvre Lucio Bukowski, plus j'apprécie son oeuvre ; bien que, à la manière de Lord Byron, son arrogance outre-passe souvent la qualité des textes. Lucio Bukowski est un peu de ceux qui, malheureusement, n'ont pas grand-chose à dire en-dehors de leur propre personne et de leur supposé talent - lequel, malheureusement encore, est bien réel ; je citerais notamment, en exemple : "Je rentre dans l'industrie comme un pénis dans une trentenaire vierge" (Papier d'Arménie), ou "Vous n'êtes que masse de lapins médiocres, aussi vrai que chaque poète est ignoré de son époque" (Les lions sont solitaires).
Mais sur cet album, sorti fin 2014, Ludo se décide enfin à nous sortir quelque chose d'autre, quelque chose qui, certes, se rapporte inévitablement à lui-même, mais qui s'est débarrassé de toute prétention, de toute haine envers les autres rappeurs, et de tout discours nombriliste mais ô combien magnifique. Sur cet album, Lucio nous parle, d'une manière générale, de son malheur, à l'enfance, ainsi que dans son existence ; le tout avec des rimes et des lines plus belles les unes que les autres ; je pense notamment au passage où il évoque le Dante croisé à l'épicerie de nuit, dans La bateleur :


"Illuminations, j'ai croisé Dante à l'épicerie de nuit
Défoncé au rhum, citant Virgile, puis éclatant de rire
Sur fond de musique club, l’œil brûlant de terreur veine
Sachant que personne ne décrit l'enfer en meilleurs vers
L'alcool des échecs dans la gorge de pillaveurs divers
Bâtis tes joies futures avec la chaux de tes douleurs d'hier"


ainsi que les deux vers suivants :


"Se rappeller l'espoir, d'ici que nos âmes s'tronquent
Le son des agonies est beau, comme une ballade de Louis Armstrong"


ou encore, dans Matriochka :


"Artificiels sont nos paradis, mais Eve perdure
File-moi un briquet, qu'j'effrite la résine de nos rêves perdus"


Chacune des lines est une perle, et les rimes et les sonorités sont superbement bien travaillées ; le tout, accessoirement, et je manquais presque de l'oublier, sur un beat mélancolique, et avec une progression très soignée, notamment grâce au premier interlude qui annonce de manière très efficace le premier "vrai" morceau. Et surtout, surtout !, il termine, il ose terminer l'album avec une citation de Lautréamont (dont vous ne pouvez pas ignorer mon admiration si vous avez déjà lu ma critique des Chants de Maldoror) ; il ne termine non pas avec un passage desdits chants, ce qui aurait été encore plus céleste, mais un extrait d'une de ces lettres, dans laquelle il explique une énième son incroyable talent (lequel, malheureusement, encore et encore, est plus que présent). De cette manière, Lucio Bukowski nous explique le dessein de cette oeuvre, qui est de rendre le désespoir pour le désespoir, sans le distiller avec une quelconque recherche de pitié ; il est en quelque sorte son seul maître à bord, et nous, nous l'écoutons. Avec un plaisir immense. Hélas.


"Naturellement, j'ai fait du nouveau dans le sens de cette littérature sublime qui ne chante le désespoir que pour opprimer le lecteur, et lui faire désirer le bien comme remède. Ainsi donc, c'est toujours le bien qu'on chante en somme."

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le 17 sept. 2015

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Enis Atallah

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