Seuls au sommet
7.2
Seuls au sommet

Album de Mendelson (2003)

Une certaine gaieté existe-t-elle dans le désarroi ? Le rire jaune est-il vraiment heureux ?
Peut-on y discerner une forme d’ironie mordante qui camoufle le sourire ?
Plus maintenant qu’alors, l’avenir semble vraiment devant cette fois pour Bouaziz qui apaise sa Musique et ses textes le temps d’un album d’improvisations.


Exit l’insistance des cuivres envolés et guitares noisys du précédent, on accueille un format bien plus habituel - et même accessible - d’instrumentations, de la joyeuse introduction de « La vie est pleine de surprise » à la tranquillité de « Qu’est-ce que tu veux de plus ? ».
Et pourtant…



La fausse promesse



On est seul au sommet quand on perd son monde par la multiplication des illusions qui nous confortent. Seul dans son délire, seul loin de tout, seul plus qu’au sommet.


Et ces fausses promesses passent par la multiplication de mensonges semi-inconscients :



ça se trouve même peut-être ce serait vrai



Mais qui cherche-t-on vraiment à rassurer dans ces mensonges ? L’autre ? Ou bien soi-même ?


C’est une tentative de discours galvaniseur et galvanisant qui se profile au fil du disque : on veut croire à quelque chose alors que tout se déliter, « mais non tout n’est pas encore perdu » essaye-t-on de dire ; et quand ça ne marche plus on tombe finalement dans l’aveu triste et désabusé.


Le « toi et moi » devient un « je crois que j’ai fini de parler » ; le vide et les séparations deviennent immenses.


Et ce mensonge perpétuel à soi-même, ce manque d’assurance se traduit dans la Musique par des tempos tantôt allant, tantôt virulents ; on nous caresse pour nous sauter au cou quand enfin on abandonne la fausse promesse :



Je me fous de savoir ce qu tu es devenue
Je me fous de savoir où et avec qui tu vis si un jour dans une soirée on se croisait
je ne voudrais même pas reconnaître que l’on se connaissait
c’est fini c’est passé j’ai plus l’âge je ne me souviens même plus de ton visage



Mais pourtant… On veut se rattacher à toutes les lueurs auxquelles on ne croit pas ; une absence de dieu, un désespoir qui sera peut-être déçu, un espoir qui ne le sera peut-être pas et pourtant on veut croire qu’on y croit.


L’Ardèche contient tout ça ; résume à lui seul et surtout sublime l’entièreté de l’album ; l’Ardèche, c’est cette promesse qu’on jette pour chercher à gagner un sourire qui n’y croit qu’à moitié mais qui sais encore aimer faire semblant d’y croire, à cette promesse. Le Mexique… Le Mexique…



L’inconstance



Plus que jamais ici, Pascal Bouaziz se répète ; si peu sûr de la sûreté de ses mots qu’il semble devoir revigorer leur force, leur poids, en les doublant :



Mon amour, mon amour



Je choisirais d’être le même, je choisirais d’être le même.



Tout comme on sombre dans la folie quand on se répète sans cesse qu’on n’est pas fou ; on sombre dans la fragilité de ce qu’on dit quand on se prend à être forcé de combler le manque de force et de conviction par un second manque. Mais non, deux manques ne comblent pas un manque, mais le renforcent.


Plus que jamais, la galerie de personnages que taille Pascal Bouaziz ici s’assume en tant que personnage ne s’assumant pas ; se croit en termes d’incrédules. Ressentent la solitude du sommet ; sommet du mensonge ou de sa maigre vie, sommet de quoi ?
De pas grand-chose. Des rares lueurs de gloire. Comme un prélude à la honte.


Et dans la solitude, on annonce la nostalgie d’époques révolues - les années 70 -, du souvenir embelli parfois - c’est une préface à Personne ne le fera pour nous qui se dresse.


D’une main sûre, seule sûreté ici, Pascal se fait écouter, donne à voir des vies médiocres toujours : son art de projection sur la vue, les quelques mots qui font jaillir des murs, des villes, des rues et des voitures toujours trouvent leur justesse et leur place ici : que ce soit « chez elle », l’étranger, les débris d’appartements…


C’est d’autant plus effrayant quand l’horreur craintive du fond du désarroi crée le Mexique inexistant de l’Ardèche : on cherche à nommer pour faire vivre les choses sans plus avoir cet instinct créateur, cette force de l’imagination dépassant la gravité de la réalité. L’Ardèche, c’est le plus grand effondrement, c’est l’effondrement des rêves.

Rainure
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Créée

le 18 mars 2017

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