Cette nuit, la solitude bleue et stérile a frémi


Noyades en nappes



Malgré la lumière pâle, un premier écho sibyllin, comme une crainte pas lerche qui t'angoisse par à-coups, te prend d'abord. À l'écart de la folie désabusée de cette fête dionysiaque, cette fureur de débauchés, tu crois fixer l’extérieur, le dehors, de tes yeux - quand déjà plus rien tu ne fixes, ton regard s'est perdu - tu as peur (Te dis : peut-être perdu pour de bon ce soir ?).


Tu crois regarder de l'immobilité souveraine : un paysage de nuit albâtre, un Hopper et ses mauvais présages, mais rien ne veut rester droit, en des nappes sublimes tout est déjà mouvement, ample et splendide, dont tout sens t'échappe et que tu ne tentes même plus à fixer. Ce gonflement grossit, et ton appréhension à te joindre au ramdam à côté qui ne te dit plus rien, de même grossit. La faucille de lune est floue ce soir, regardée à travers le grand voile de tes psychotropes, les volutes que tu tires en bouffées, les volutes qu'argente encore ta lune.


Tu n'es plus là et tu ne le vois même pas, trop distant à toi-même. Il te faut du temps, et du temps, pour ne percevoir rien qu'un instant.


Soudain c'est là : tu te vois, tu te discernes plutôt, le joint toujours à la main, en train de t'enfoncer, de t'ensevelir même ; tu as sombré et tu sombres encore, l'orgie pourpre et volubile de l'à-côté tu l'ignores, tu ne la connais pas, trop délaissé dans ta fascination pour ta vertigineuse, ta prodigieuse perte. Le mercure, comme un fou qui ne sait plus qu'appuyer sur un accord seul de piano ad infinitum, et des piaillements qui ricochent dans l'esprit. Le visage bleui, le torse affamé, ton esprit malade ne veut pas admettre aucun espoir pour ton corps lui aussi malade. Un corps à part, que toi seul tu auras mis pourtant à l'écart.



Vivre l'inquiétude



Déjà vous semblez deux, toi et ton reflet à cette vitre enfumée à laquelle tu es restée bien une heure, sans en décrocher. Tu ne lui parles plus qu'à lui, ton reflet, pour lui admonester en pensée tous les reproches que tu te fais, que tu discernes dans cette mélasse de pensées abstraites, de non-pensées, de souvenirs d'une réalité immédiate que tu ne sembles pas pouvoir saisir (tu ne sais pas saisir le moment présent).


Tu te croyais au plus bas ? Nahbarkeit, nahbarkeit. Il te reste de la marge. Détaché de ta propre vie où pour l'instant tu ne sais plus agir, tu te désoles. Ton souffle se fait court (sécheresse de chaque respiration comme un combat, un combat sans aucune victoire). Tu trembles de plus belle, toi pourtant déjà si fétu de paille et si brindille au vent. Tu trembles et tu t'effondres intérieurement, en ces inquiétudes ressurgies par ton joint comme un sourcier de tes malheurs. Tu t'observes indolent et qui ne sait profiter de toute cette vie si rouge, si sang, si chair (si fond, si loin, si loin !). Et tu te vois si bleuâtre, si moisie déjà, si lèpre. Ton cœur comme un tocsin qui fait souffrir à sonner, qui tonne pourtant et tonne. La crise ne passera jamais (tu te dis alors ; un puits de douleurs sans fond, une impasse d'où jamais on ne te tirera), et tes pleurs qui ne voulaient que subsister à la commissure, à la rainure des yeux déboulent méchamment, comme tu te vois larmes, et qu'affluent toutes tes bassesses, tout ton humain qui ne retient rien. De la lumière que tu croyais pourtant savoir retenir, tu n'en sais plus rien. Tout agité de spasmes, tu te maudis à ne savoir vomir ce mal-être, tu t'en veux d'être si toi, si là et si peu capable de te lier. Tu croupis, tu croupiras donc encore ce soir, c'est bien là tout ce à quoi tu es douée, le croupissement. Le délaissement, ton propre superbe délaissement pour lequel tu es si capable, tu es fantastiquement doué à échouer (et de la lumière des étoiles du soir que tu discernais pourtant, il n'y a pas tant de temps, tu ne saisis plus que la mort probable de ces mêmes astres trop lointain) (tout était sombre, et tout sera désespérément sombre).



Et le grelottant abîme se referme sur toi.


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le 30 oct. 2018

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Rainure

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