Une parka vert kaki beaucoup trop grande pour ses frêles épaules, une chemise en jean auréolée du gras du sandwich à la merguez de midi, un pantalon jean de chez "Prisunic" attaché au dessus du nombril et des Paraboots beiges un poil trop larges.
Voilà en quelques mots le souvenir de ma première rencontre avec Michel Houellebecq. Une silhouette décharnée flottant maladroitement dans ces vêtements anachroniques. Un visage émacié navigant indécis entre les âges. Le regard est fatigué, blasé, mais reste fixe, contemplatif, en éveil sur ce qui l'entoure. L'homme regarde mais ne juge pas, habitué qu'il est des humains et de la déception coutumière qui les accompagne.
Il fume. Il fume beaucoup. Surement beaucoup trop. Il fume bizarrement. La cigarette comme une extension, comme le prolongement d'une anatomie étrange, comme remède à une timidité maladive, à une intelligence nocive et redoutable. La cigarette comme un paravent, un écran de fumée derrière lequel l'homme se cache pour laisser transparaître, à travers d'épaisses volutes bleutées, les traits plus délicats de l'artiste.
Un physique troublant et singulier (dont il a toujours su jouer), une voix hésitante et empruntée crachant d'interviews en interviews formules géniales ou provocatrices et petites phrases assassines.
Auteur visionnaire, Messie Chamanique aux visions apocalyptiques embuées dans les vapeurs de vin blanc made in Prisunic. Romancier de la débandade, prophète du déclin de l'empire de l'homme blanc, castrateur en chef de l'Homo Occidentalis et chantre officiel de la décadence de l'Humanité.
C'était cela pour moi Michel Houellebecq, après avoir lu l’œuvre de l'augure aux cheveux gras de St-Pierre de La Réunion.


Alors quand j'ai découvert que l'ami Michel avait commis un disque, qu'il avait mis quelques poèmes inédits en musique à l'aune de ce XXI ème siècle plein d'espoir et d'utopies, je m'y suis tout naturellement plongé dedans; comme l'alcoolique plonge au fond de son verre, comme le dépressif se noie dans sa dépression.


Au début de l'an 2000 sort Présence Humaine album de poésie récitée de l'auteur Michel Houellebecq. C'est au créateur du label Tricatel, musicien aux mille casquettes ( Producteur, compositeur, arrangeur...): l'original et iconoclaste Bertrand Burgalat, que l'on doit la finalisation de cet album étrange à la genèse tourmentée.
C'est en 1995 , alors que le nom de Houellebecq commence à se faire une petite réputation dans le milieu littéraire avec le séminal Extension du domaine de la lutte que les deux hommes se rencontrent via le rédacteur en chef d’Art Press pour un premier contact. En 97, un premier titre ( Séjour-Club) sort en douce au Japon sur une compil' Tricatel et annonce enfin la promesse d'un album.
Mais peu de temps après, en 1998, sortent Les Particules élémentaires. Houellebecq rassure Burgalat en lui expliquant qu'il en a pour une quinzaine de jours de promo et qu'ils pourront terminer leur projet dans la foulée. Mais le phénomène Houellebecq explose à la sortie du livre; la promo qui devait prendre une poignée de jours se transforme en marathon médiatique et fait du frêle et timide Michel, la nouvelle star du petit monde littéraire Parisien. Le disque est encore une fois repoussé.
Il faudra attendre Août 99 pour que la petite bande rentre en studio et commence les enregistrements. Le disque sera livré en Avril 2000.
La genèse de l'album pourtant si compliquée ne sera rien - selon Burgalat - par rapport à la sortie du disque. Entre l'origine du projet et sa concrétisation il s'est passé presque cinq ans; cinq ans où le tout jeune écrivain Houellebecq s'est mué en auteur à succès respecté par toute la profession, cinq ans que le fragile Michel est devenu la Rock Star des lettres ... et qu'il y a pris goût.
Mésententes (sur la pochette entre autres), retards aux concerts, disparitions inopinées (pour la Thaïlande notamment), annulation de dates pour cause d’excès d'alcool. L'après- album se révèle catastrophique et mènera les deux artisans du disque au clash, dans une brouille qui dure encore ( Houellebecq peindra durement, sous couvert de fiction, Burgalat dans ces romans) et sans que l'arrangeur Corse n'ait eu le moindre remerciement pour le travail fourni.


Alors dix-sept ans plus tard, que reste t-il de Présence Humaine ?


Musicalement d'abord. Bertrand Burgalat est en recherche d'un groupe neuf et suffisamment solide pour accompagner Houellebecq qui a de gros soucis de rythme: Ce sera le groupe Eiffel . Eiffel officiera - pour une grande partie - aux instruments durant quelques sessions live et sur certains morceaux de l'album. Mais entre temps le groupe se fera signer par une maison de disques et abandonnera l'aventure Houellebecq.
Se met alors en place autour de l'écrivain une association de musiciens réunit par le maître d’œuvre Burgalat et qui va faire merveille. Houellebecq souhaite les appeler les "Social Smokers" mais le groupe deviendra A.S Dragons et mènera une vie propre assez riche - 3 albums et de nombreux accompagnements de chanteurs (Chamfort, Jacno...) - après Présence Humaine.
Mais c'est Burgalat qui met en place l'ambiance sonore. C'est lui le manitou du son, c'est lui qui va amener la chair à la structure épurée et glaciale des mots de Houellebecq. Il va enrober cette ossature de métal de guitares Funky paresseuses, d'envolées d'orgues lancinantes ou de riffs Rock accrocheurs.
Les ambiances se succèdent au fil des textes du poète. Une Easy Listening un peu Kitsch vient caresser Playa Blanca et ses fin de soirées érotisantes au milieu d'Allemandes dénudées sirotant un mauvais Rosé au terrasses des cafés d'un camp naturiste triste à pleurer. Un Rock nerveux, lancinant, vient coller au superbe poème prophétique et apocalyptique Présence Humaine et fait monter à coups de gratte distordus et de riffs rageurs l'inéluctabilité d'une fin d'Humanité programmée. (Il faut que la mort vienne / La mort douce et profonde / Bientôt les êtres humains / S'enfuiront hors du monde / Alors s'établira / Le dialogue des machines / Et l'informationnel remplira / Triomphant / Le cadavre vidé / De la structure divine/ Puis il fonctionnera / Jusqu'à la fin des temps)
Les mots froids, réalistes, dissèquent les rapports humains comme l'écolier mal dégrossi découpe sa grenouille en cours de science naturelle. La voix monocorde, désincarnée, de Michel Houellebecq ajoute de la monotonie aux vers nus et secs de sa poésie. La vision du monde est glaciale, naturaliste, trop vraie, trop honnête pour être belle. C'est une étudiante qui fait des mots-fléchés dans le train Paris-Dourdan. C'est un homme seul, reclus, assis au bord de la piscine d'un centre de vacances, qui regarde ses contemporains s'ébattre joyeusement sans lui.
C'est la réalité, triste et ennuyeuse, qui jaillit comme une source vive des mots désespérément simples de Houellebecq. C'est un sentiment d'apesanteur malsain qui se dégage de l'album, c'est les quelques secondes figées dans le temps juste avant l'accident, la minute légère et insouciante avant l'apocalypse.
La poésie de Houellebecq pourtant si fragile, presque cassante comme du verre, enfonce ces racines loin dans la boue noire des sentiments humains.
Les mots de Houellebecq comme un château de cartes en plein vent qui ne s'écroulerait pas.

Ze_Big_Nowhere
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le 19 févr. 2017

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