Parce que plus rien n'est comme avant

Il y a des musiques qu’il est difficile de juger, parce qu’elles sont lourdes de sens, de sentiments et le fruit d’un travail très personnel au point que les écouter est semblable à rentrer dans l’intimité de la personne, chez lui, dans son foyer, comme un intrus voulant se nourrir de la douleur de l’autre. On pense à Mount Eerie avec A Crow Looked at Me, album en l’honneur de sa défunte femme, tellement personnel que l’écoute (difficile) de l’album se rapprocherait du voyeurisme morbide.

Ici, il est question du leader de Linkin Park, qui nous délivre un EP suite à la perte brutale de son bandmate Chester Bennington, ayant mis fin à ses jours en juillet dernier. Post Traumatic n’est pas tant sur Bennington que sur Mike Shinoda lui-même. Il n’est pas ici pour raconter les bons moments passés avec son amis, mais pour nous donner l’état dans lequel il est et a été. Les conséquences du deuil sur l’Homme. Si la mort est le moteur, Post Traumatic se concentre sur le vivant, sur ce qui suit après le drame.

D’abord, les doutes. “Place To Start” le remet en question. Si l’autre n’est plus, qu’est-il à présent ? Que doit-il faire ? Il ne faut pas que le drame, si grand soit-il, le paralyse. Il doit, il faut aller de l’avant, c’est ainsi. Ne pas penser à la fin, mais au début, pouvoir se (re)construire. La fin du morceau est très intime en ce qu’elle dévoile des extraits de sa boite vocale de proches lui apportant leur soutien suite au décès de Bennington.

Le deuxième titre “Over Again” est brute. On apprendra via un tweet de l’artiste que le klaxon en début de morceau était venu parasiter sa session d’enregistrement. Mike nous place le soir du concert hommage à Chester. Bien que tout cela nous a paru bien préparé avec un Mike confiant qui a assuré jusqu’au bout, il nous confie son doute à monter sur scène et ce qu’il se passe dans sa tête à ce moment. Certes le groupe a répété, mais voilà, monter ce soir revient à assurer un spectacle comme jamais il ne l’avait fait auparavant, ce qui donne ces lignes lourdes de sens évoquant l’absence de Chester Bennington en sous-texte : “Cause I think about not doing it the same way as before / And it makes me wanna puke my fucking guts out on the floor”. Puis le deuxième couplet nous plonge après le concert. Mike évoque qu’il a failli craquer pendant, qu’il est surpris d’être enfin écouté pour ce qu’il a toujours dit (renvoyant probablement au fait que le groupe n’est pas connu pour ses textes qui pourtant ne sentent pas la joie de vivre) et n’hésite pas à envoyer balader ceux le questionnant sur ce qu’il compte faire désormais.

L’EP se clôture sur Mike devenant l’objet des attentions dans “Watching As I Fall”. Tel un effet pervers, la mort de Bennington a fait que tous les yeux se sont braqués sur lui, pour savoir ce qu’il avait à dire et/ou ce qu’il allait advenir.

Finalement, Shinoda livre une oeuvre qui ne tombe pas dans le tearjerker. Il se concentre sur sa personne. Post Traumatic est sa façon de se livrer, comme une thérapie. Cela fait partie de son deuil. Un mini-bilan de ses derniers mois éprouvants. Ni pessimiste, ni optimiste. Cet EP, c'est l'histoire de celui qui reste face à celui qui n'est plus. C'est cet étrange sentiment de devoir continuer à vivre, de continuer à créer après la mort de l'autre. Ce genre d'oeuvre donne souvent ce paradoxe de solitude et de dualité tant le sujet (...du sujet) est présent par son absence. Cet EP marque déjà l’après 20 juillet 2017.