POSSIBLE
5.6
POSSIBLE

Album de Chaton (2018)

Comme disait Cat Power, « Nude as the news »

OK, en quelques mois, CHATON est partout. Il a comme gravis les marches du succès et de la hype branchouille avec un seul titre et aujourd'hui son nom est partout : il a débarqué sur le label underground francophone hype La Souterraine, chez lesquels est apparu sont hit, succès immédiat et entêtant, « Poésies », pour ouvrir le bal de la compilation Tel Quel en août 2017. Et plutôt que ce qui était annoncé (c'est-à-dire la sortie discrète de l'album sur ce même label souterrain qui permet de faire des cartons tout autant qu'être suivi par dix paumés), on l'a vite vu en live chez Nova, excusez du peu, puis les articles et les interviews ont poppé de-ci de-là, sur la foi de trois titres dévoilé au grand public avant même la sortie de l'album finalement signé chez Sony (stratégie com : entretenir le buzz en dévoilant au compte-goutte les titres, en créant l'envie et l'attente par la frustration), des articles donc aux Inrocks, ou carrément sur le site du Monde, oui.
Consécration ultime : le voilà déjà cité dans les discussions Facebook en exemple-argument de ces choses surestimées par la masse, c'est-à-dire ces œuvres et ces artistes que seuls ceux qui n'ont pas de goût (c-a-d à-peu-près-tout-le-monde-sauf-moi-qui-sait) apprécient et encensent. L'exemple même de la dégradation de toute chose, de l'art en général et de la société. Apparu de nulle part il y a quelques mois, CHATON peut déjà être ccollé dans une liste aux côtés de Booba, des Fréro Delavega, des Kids United ou de Maître Gimms.
On trouvera des arguments : textes pauvres, entre premier degré banal ou passages quasiment incompréhensibles, musique qui n'en est pas vraiment, chansons qui se ressemblent toutes, usage ridicule et terriblement à la mode chez ceux qui ne savent pas vraiment chanter, en fait, du détestable artefact autotune.
Et pourtant, que tu le veuilles ou non, CHATON fascine, hypnotise, et a sorti un album aux titres entêtants et qu'on se surprend à chantonner. Que ça te plaise ou non, tout comme il y a des fans de Maître Gimms, il y a des gens qui adorent CHATON. Et, je vais te dire, j'en fait partie. Depuis le début.
Quand tu lis les interviews de Simon (c'est son vrai nom), il fait référence à Booba (dont je ne supporte pas le flow) et à PNL (cet étrange groupe de rap comateux qui fait penser à du Booba sous morphine). Et qu'en dit-il ? Il les compare à Rimbaud ou Baudelaire. Ouais. Mais ce qu'il en dit, précisément, c'est qu'on oublie qu'à l'époque Rimbaud ou Baudelaire (et leurs copains), c'étaient des punks. Et que si on les a retenu, c'est que leurs œuvres, et la métrique qui était la leur, cela correspondait à cette époque et résonnait avec elle. Si Booba et PNL ont aujourd'hui du succès, et même Maître Gimms, qu'on aura beau détester, nous les gens de goût, c'est qu'ils ont cerné et compris quelque chose de notre époque. Quelque chose qui vient faire écho chez les gens. Et c'est très plausiblement ce qui se passe avec CHATON. Que ça te plaise ou non.


Cependant, on peut regarder le succès éclair de ce type comme l'aboutissement étrange d'un long parcours cahoteux. On peut le lire comme l'ultime étape d'un voyage mystique, d'une longue quête initiatique. Parce que CHATON, avant d'être CHATON, c'est Simon Rochon Cohen. Et, en vérité le premier album de CHATON est le quatrième de Simon. En 2003, puis en 2006 et en 2009, il sort, sous le nom de Siméo, trois albums qui connaîtrons un petit succès relatif, que j'imagine plutôt d'estime qu'autre chose. On les trouve facilement sur le net, tu peux aller y tendre une oreille.
À leur écoute, on saura qu'il est en fait malvenu de penser que CHATON ne sais pas faire de la musique, ni chanter, et qu'il se cache alors derrière l'autotune. Curieusement, on saura que Simon (du moins sur les premiers) fait tout : il joue de tous les instruments (guitare, basse, batterie, clavier...), et chante avec une voix assez étonnante. Bref, c'est un artiste complet.
Mais, lorsque l'on écoute chacun des disques, même si Siméo nous paraît alors sympathique et, en apparence, bien plus vivant que ne semble l'être CHATON (avec ses textes dépressifs au possible), on peine en vérité à lui trouver une identité propre : son premier disque, plein d'accordéon, ressemble un peu trop à du Mano Solo, jusque dans la voix. Le second, sonne plus reggae, et la voix toujours pas loin d'un Mano Solo a des relents de Camille Bazbaz (un autre chanteur blanc qui trafique le reggae pour en faire tout autre chose), fait vaguement penser à une école Tryo, et surprend avec des moments où la voix devient clairement du -M-. La comparaison avec ce dernier prend son sens dans le troisième album, plus rock, où un groupe l'accompagne (avec entre autres Sébastien Martel qui a, eh oui, joué avec -M-). De fait, difficile de ne pas reconnaître les grandes qualités de ces trois disques. Or, c'est comme si à chaque fois, quelque chose d'essentiel manquait. Comme si l'on peinait à entendre Simon derrière tout ça, tellement planent les fantômes de tous ces autres artistes à qui l'on pourrait le comparer.
D'ailleurs, après ce troisième album, Siméo disparaît de la circulation, et Simon devient un homme de l'ombre, travaillant pour d'autres artistes : Yannick Noah, Leslie, Amel Bent ou Jenifer, pour qui, il écrit, compose ou produit chansons et disques. Il restera dans l'ombre presque dix ans, jusqu'à revenir aujourd'hui, sous la forme de CHATON avec cet anti-disque minimaliste, dénudé : chansons lentes, simples, presque simplistes, pauvres en un sens, le tout sous une pochette blanche. Pas d'illustrations, pas de photos, des crédits qui ne disent presque rien. Comme si tout était contenu dans la musique seule, qui ne contient déjà presque rien.
Et si je parle de chemin mystique, c'est que ce parcours a tout d'une sorte de vie de saint, un parcours d'individuation, une réalisation de soi par le vide. Quelque chose d'éminemment zen. Ce qui se fait en trois étapes : la première est celle de l'ego, celle où Simon, tout juste 20 ans, pour tenter d'exister, se cache derrière Siméo, cherchant à être tout ce qu'il n'est pas – c'est-à-dire tous ces autres à qui l'on peut encore le comparer quand on l'écoute aujourd'hui. Comme si, de peur de n'être personne, Simon cherchait désespérément à être tous ces autres. Comme pour remplir le vide inexorable face auquel nous nous retrouvons tous un jour : ce vide qui est là, terrible, toujours en nous. Il tente et il tente.
Or, deuxième étape, la vie qui te revient dans la gueule : cette veine tentative ayant échoué, après trois albums (que j'ai déjà vu de nombreuses fois dans des bacs de soldes) presque oubliables, le voilà devenu homme de l'ombre. C'est certainement une période dure, où son ego s'en prend alors plein la gueule, s'effrite. Une période qui certainement lui rappelle qu'il n'est que lui-même. Désormais devenu malgré lui, l'esclave des egos des autres – ceux qui seront dans la lumière, sur scène, à sa place.
Face à l'industrie implacable qui lui demande parfois de se renier, Simon s'enfonce. Il perd pieds, se perd lui-même. Le voilà prêt pour la troisième étape du voyage : dans tous les grands chemins mystiques, l'illumination, la rencontre avec Dieu, se fait au point de déchéance le plus grand. Dans un moment de souffrance terrible,, à un point proche de la folie, la douleur se transmute soudain en lumière aussi douce que furieuse. Le héros – le futur saint – tombe, perd tout, et se relève grandi. Défait des illusions, et de tout ce qu'il croyait le constituer, ce qu'il croyait être lui, il se retrouve comme nu, face à ce qui le constitue vraiment, ce qui est au cœur de lui-même. Défait de toutes ses aspirations nourries par son ego, il peut enfin être. Comme une seconde naissance.
Et c'est peut-être ça que CHATON a à nous offrir derrière ce disque blanc et économe : une sorte d'opération d'alchimiste, transformant « la douleur en douceur », la déchéance en transcendance. Nous livrant un disque nu, un disque presque rien, et qui s'avère au final beaucoup plus que tout ce qui avait précédé. Un disque pur.
(Même si ça pourra en faire chier certains.)


ADDENDUM :
Humble et simple comme sa musique, CHATON répond aux messages. Il a lu l'article ci-dessus et nous avons eu un petit échange. Comme ce qui précède n'est que ma lecture, je préfère citer l'interressé pour éclairage plus juste.


Sur sa carrière passée en tant que Siméo, Simon exprime ceci :



Mes premiers albums, je ne peux pas les écouter, je les trouves évidemment indigestes, mais j'ai une forme de tendresse pour eux car déjà à l'époque, même si j'avais beaucoup moins de connaissances, j'avais le même feu de bien faire. De témoigner au monde ma reconnaissance. Car j'adore le monde. Je ne le comprends pas une seconde, mais j'ai beaucoup d'amour pour lui. (...) Et les disques Siméo nous on fait manger mon crew et moi pendant plusieurs années , donc je ne suis que reconnaissance !



Quant au succès (encore relatif) de CHATON, voilà ce qu'il nous dit :



les affaires de buzz, de médias etc , ça ne change pas grand chose à mes choses quotidiennes. Tout ce que tu racontes dans l'article je ne le vois pas moi. J'ai une chance infinie que ce disque produit chez moi sorte, que des gens l'écoutent. Ça ne change rien à ce que je me bagarre avec moi-même chaque jour depuis bien longtemps maintenant pour tenter d'être plus juste. Pour tenter de réduire au maximum la distorsion qui existe entre ce que dit mon ventre et ce que je sais dire avec des mots et de la musique. Le reste, c'est fluctuant et même si un million de fois les périodes comme celle-ci sont plus agréables à vivre, au fond il n'y a que de moi dont j'ai peur.


colville
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le 12 mars 2018

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