NO NOW
7.2
NO NOW

Album de Clarence Clarity (2015)

       A force d'écouter de la musique, des albums voire des discographies entières, tu en arrives à un point où plus rien ne te surprend. En bon amateur de pop, ton oreille tombe de temps à autre sur un titre sympathique, peut-être même excellent, que tu vas écouter une bonne vingtaine de fois avant de passer à autre chose, génération Internet oblige. Quelle bonne surprise de tomber alors au beau milieu de cette routine sur un album âgé de plus d'un an (so 2015, comme dirait la hype) et qui malgré cela, a bien une demi douzaine d'années d'avance sur la production actuelle ! Car si l'on devait parler du futur de la pop, Clarence Clarity et son « No Now » (qui porte bien son nom) en serait une des parfaites définitions. Si j'ai cette fois-ci écouté les nombreux morceaux composant l'album une bonne vingtaine de fois, c'est pour mieux en déceler les subtilités de productions, le travail de composition derrière le vacarme assourdissant et le bordel ambiant qui semble régner ici. 

« No Now » semble être l'aboutissement de plus de soixante ans d'histoire de Musique Électronique, il y a quasi toutes les techniques et expérimentations possibles dedans. Pour le genre, nous sommes principalement sur du R&B même si loin de la mode minimaliste barbante actuelle. Putain tant mieux, Clarence Clarity aurait même tendance à en faire trop. On baignera alors aussi bien dans des ambiances orientales (du Raï en passant par Bollywood, surtout par les accents dans la voix du chanteur) que dans l'Ambient ou la Folk. Dans ses passages les plus brutaux, on flirte même avec des riffs de métal. La revue Magic (R.I.P), qui m'a fait découvrir le disque, tente une courte énumération de ce qu'on peut y trouver dans sa critique "Des breaks impromptus, des beats destructurés, des guitares saturées, des falsettos aigus, claviers moelleux ou tordus, des percées IDM", sans oublier autres effets de filtres et de pitchs sur les chœurs et les voix, sur les instrus, du vocoder, du bruitisme...


Magic compare aussi cette œuvre à ce qu'aurait pu produire Timbaland ou Pharell Williams avec plus d'audace et de travail... Dans le style de pop, on s'approche néanmoins plutôt de celui d'Yeasayer (pour les connaisseurs), si le groupe avait été au bout de leur propre logique. Encore des noms ? Disons entre Aphex Twin et du Bibio sur-vitaminé pour la patte électronique... Le magazine Usbek & Rika disait dans son numéro sur « L'Avenir de la Musique » que ce dernier ne se ferait pas sans un brassage des genres et des ethnies. « No Now » fait bien plus que cela, il transcende ce brassage d'influences et est alors à placer à côté du Art Angels de Grimes sorti lui aussi en 2015. Les Inrocks ont même été (dans l'exubérance qu'on leur connaît) jusqu'à le comparer à Prince. Et effectivement, un mariage entre les deux aurait pu donner quelque chose d'intéressant tellement l'ère numérique n'a jamais semblé aussi vivante ici, donnant l'illusion de pouvoir improviser à des niveaux égaux à l'analogique et de s'échapper de la logique rigide d'un ordinateur, certes parfois par des bugs ou des malfonctions.


Stoppons les comparaisons et les éloges, parlons un peu des défauts, car évidemment, il y en a un : le principal étant bien entendu la sensation d'épuisement que l'on ressent à la première écoute, sur la longueur, tout ce trop-plein ne pouvait aboutir qu'à cela. Les utilisateurs de Senscritique en sont même décontenancés, certains ne comprenant pas ce qui vient de se passer, d'autres complètement paumés dans ce foisonnement de sons, ce déluge de tout et n'importe quoi... On préférera alors écouter « No Now » en plusieurs fois, sur plusieurs écoutes, de préférence attentif et approfondi, pour mieux apprivoiser la bête... c'est d'ailleurs ce que l'artiste semble recommander puisque la dernière piste est en fait l'introduction de la première. On est ici dans un jeu où il faut chercher le tube, chercher l'agréable, et où on ne nous l'offre par sur un plateau d'argent comme notre époque le voudrait. On ne se reconnaîtra pas dans toutes les pièces proposées mais le jeu en vaut la chandelle.


Le premier (et oui, c'est en plus de ça une première!) album de Clarence Clarity est donc complètement fou, atypique, d'une maîtrise totale et en avance sur toute la production actuelle. Le bonhomme envoie tout valser, pousse à bout la production numérique à tel point que par effet de répercussion et de résonance, l'album ne devrait être reconnu que dans quelques années, lorsque le mainstream l'aura spolié à son tour, d'où son titre, qui montre bien que nous ne sommes pas encore prêts. Bourré d'idées et de musicalité, cohérent et attachant malgré tout, « No Now » est à tenter au moins une fois pour l'expérience, et plusieurs autres pour la comprendre. Est-ce que vous en avez encore le temps ?


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Strangeman57
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le 7 juil. 2016

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