Le plus bel album consacré à John Sheppard

Né vers 1515, mort en 1558, John Sheppard est aujourd’hui principalement connu pour son Media vita, et l’on comprend pourquoi à l’écoute de cette œuvre monumentale et hypnotique. Cet enregistrement paru chez Linn Records se voit entièrement consacrer au compositeur par le chœur du New College d’Oxford, sous la direction de Robert Quinney : quatre premières discographiques, dont le magnifique A solis ortus cardine, où se manifeste à maintes reprises le goût de Sheppard pour les envolées de soprano stratosphériques (pour l’époque), et bien sûr l’incontournable Media Vita, concluant l’album.


Le livret de Robert Quinney est particulièrement intéressant sur la distribution vocale. Le chef a sans doute lu les publications d’Andrew Parrott et de Simon Ravens sur la voix de fausset, qui soutiennent que la tradition britannique des falsettistes ne remonte en réalité qu’au 19e siècle et que les countertenors britanniques n’étaient ni plus ni moins que des hautes-contre à la française, la voix de fausset n’étant utilisée que pour le haut de la tessiture (y compris chez les basses), avant l’extension de la tessiture en voix « naturelle » par l’abaissement du larynx. Cependant, soit Quinney ne partage pas pleinement la thèse de Parrott et Ravens, soit il n’a pas voulu mettre ses falsettistes au chômage technique : « La répartition des voix sur cet enregistrement est assez expérimentale, et peut être résumée comme suit :
» — lorsqu'il n'y a pas de triplex [« soprano»], la partie la plus haute (medius) est chantée par les garçons seuls ;
» — lorsqu'il y a un triplex, les choristes chantent à la fois cette partie et le medius, ce dernier en combinaison avec un ou deux falsettistes — sauf pour Media vita, dans lequel le medius est chanté par les seuls falsettistes ;
» — dans tous les motets sauf Media vita, les parties appelées “contratenor” sont partagées par les ténors et les falsettistes (ces derniers étant rejoints par un alto féminin dans le 2e motet). »


Le mélange garçons-falsettistes est aussi beau et intéressant qu’inhabituel, à défaut bien sûr d’être homogène : dans les aigus, ce sont les falsettistes qui dominent ; dans le médium et le grave, les garçons. Après une chute inquiétante du niveau vocal des garçons oxoniens à la suite du départ à la retraite d’Edward Higginbottom, les voix des petits chanteurs ont en grande partie recouvré leur beauté, à défaut de la couleur si singulière qu’elles avaient au temps du prédécesseur de Robert Quinney.


J’ai beaucoup aimé, voire adoré la plupart des motets ici enregistrés, en particulier A solis ortus cardine, Sacris solemniis et Inclina Domine, paradoxalement moins, ici, le chef-d’œuvre absolu de Sheppard, Media vita. Splendide et magistrale, l’œuvre n’est pas en cause, mais l’enregistrement de Martin Baker paru voilà quelques années reste pour moi insurpassé. La supériorité vocale et technique des garçons d’Oxford n’y change rien : à la fois plus lente et plus habitée, l’interprétation du chœur de la cathédrale de Westminster atteint au sublime, quand celle de Robert Quinney et du chœur du New College est « seulement » excellente.


On peut découvrir l’album sur Youtube — https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_meLwYwAgrrKcDUNgtRv0us9pCspklqTmQ —, mais bien sûr le mieux est de l’écouter dans de bonnes conditions, en se le procurant sur le site de l’éditeur :
https://www.linnrecords.com/recording-sheppard-media-vita.

Dinozor
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le 20 déc. 2020

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