Les années 80 n'ont pas été les plus simples pour Frank Zappa. Coincé dans un combat que l'on sait sans issues possibles contre les Instances américaines bien décidées à le reléguer au fond du trou et les difficultés financières accumulées faute de public lors d'incessantes tournées car ses disques ne se vendent pas (l'extrême froideur du théâtral Thing-Fish aura eu raison de ses provocations et prises de risques anti-commerciales), la chute de popularité du maître est telle qu'on ne le reverra pas de si tôt sur les scènes américaines et européennes. Les choses se passeront au sous-sol de sa demeure à Hollywood avec comme seul ami le synclavier qui ne le quittera plus jusqu'à sa mort.


Broadway The Hard Way avait permis à Zappa de se remettre de ces années critiques avec un live formidable sur le plan musical, truffé d'inédits bavards, provocateurs voire irresponsables. L'auteur de When The Lie's So Big n'a jamais eu sa langue dans sa poche et a toujours préféré faire valoir une liberté d'expression totale au détriment d'impératifs commerciaux qui auraient pu lui assurer une retraite sereine : au-dessus de cette prétention quasi sans commune mesure dans l'Industrie du disque de l'époque, c'est bien une chose que personne ne peut lui retirer.


Make a Jazz Noise Here sort à une époque où Zappa se sait pratiquement condamné. Le cancer gagne du terrain et l'empêche de tenir le rythme d'une éventuelle tournée en Europe de l'est. Ses apparitions seront extrêmement confidentielles. Garanti sans overdubs, le double album présenté ici se veut musicalement du même niveau que Broadway, avec ce doux parfum de jazz rock, de soul, de reggae, d'impros free (Big Swifty, à ne pas consommer à jeun) et de soli de guitare zappaïenne (Fire And Chains, City of Tiny Lights, sidérants). Les musiciens sont brillants, les cuivres sont alignés comme des bataillons de soldats prêts à en découdre avec l'oeuvre de Zappa, la guitare de ce dernier résonne ici comme un moteur de bécane, furieuse, infatigable. Dans une formation presque aussi riche que celle du Grand Wazoo, le spectacle est total, plus instrumental encore que le précédent, suite logique et naturelle d'une tournée malheureusement avortée à cause de tensions internes qui couperont Zappa de son public américain. Un live conséquent, fou, impossible, transgenre.

XavierChan
8
Écrit par

Créée

le 23 mai 2021

Critique lue 87 fois

4 j'aime

XavierChan

Écrit par

Critique lue 87 fois

4

Du même critique

The Hunt
XavierChan
3

Critique de The Hunt par XavierChan

Tromperie sur la marchandise, l'affiche a l'élégance porcine d'un Seul contre tous mais son contenu est en fait une grosse farce guerrière qui ne mérite en aucun cas toutes les accroches putassières...

le 2 avr. 2020

29 j'aime

12

Yi Yi
XavierChan
10

Critique de Yi Yi par XavierChan

Yi Yi sonne comme le chef d'oeuvre du cinéma taïwanais des années 2000, le film-somme d'un cinéaste parti trop tôt, qui avait encore tant à apporter à l'édifice qu'il avait lui-même bâti au cours des...

le 27 févr. 2011

21 j'aime

4

The Velvet Underground
XavierChan
9

Critique de The Velvet Underground par XavierChan

Tout le monde, à part la bande de camés du coin, pensait le Velvet définitivement enterré dans les limbes de l'insuccès commercial, creusant tellement profondément leur propre tombe qu'ils ne...

le 23 déc. 2011

19 j'aime

2