Défilé d'animaux, de blagues potaches et de musique classique

On dit souvent que la France n'a pas de compositeurs de musique. Enfin ce n'est pas moi qui l'ait dit mais ce cher Brahms. Pourtant un des plus importants compositeurs du 19ème siècle est Camille Saint-Saens dont l'oeuvre comporte de véritables bijoux comme l'opéra Samson et Dalida et l'aria "mon coeur s'ouvre à toi", immortalisé par la Callas herself !


Néanmoins, Le Carnaval des Animaux est une de ses oeuvres les plus familières. Une oeuvre que l'on écoute petit, souvent illustrée dans des livres pour enfants, souvent utilisée pour apprendre la musique au même titre que Pierre et Le Loup. Car les deux oeuvres partagent une caractéristique commune : elles sont toutes deux figuratives. La musique illustre littéralement un objet, une personne, un animal. On a le thème du loup, le thème de Pierre ou de l'oiseau. Dans le Carnaval, on a la majesté du lion, la lourdeur pataude des éléphants, la grâce des cygnes.


Le Carnaval des Animaux est cependant différent de Pierre et le Loup et fait figure d'exception dans l'histoire musique, étant présentée par le compositeur comme une "grande fantaisie zoologique". Il fut composé pour une fête de Mardi Gras, en quelques jours. Bien que compositeur reconnu, la pièce fit grincer lorsqu'elle fut jouée si bien que Camille Saint-Saens en interdisit toute représentation de son vivant - exception faite au morceau "Le Cygne", sur lequel je reviendrais. Pourtant, la pièce fut admirée par Liszt.


On aurait tort de voir le Carnaval comme une oeuvre innocente pour enfant. C'est en cela qu'elle est unique car elle est particulièrement grinçante et parodique. On trouve ainsi ce morceau qui interpelle, "Les pianistes" avec cette mention sur la partition : imiter la gaucherie des débutants. Deux pianos font des gammes et des variations de gammes, avec des erreurs volontaires, ce qui rend le morceau finalement difficile à jouer ! Plus encore, dans le morceau "Les Fossiles", on trouve diffférentes parodies dont une parodie l'une de ses propres oeuvres, La Danse Macabre. Là encore, le ton utilisé est grinçant,et faussement naïf. On trouve d'autres évocations musicales : "Ah je vous dirais Maman", "J'ai du bon tabac" et "Au clair de la Lune", sans parler des reprises d'Offenbach, de Berlioz ou de Rossini. L'agencement de toutes ces parodies musicales, allusions et farces est brillant, de bout en bout. L'effet figuratif des animaux est parfaitement retranscrit : le morceau "Les Kangourous" est tout à fait parlant avec la figuration du saut par une montée rapide dans la gamme.


Mais derrière le ton de la farce, il demeure deux morceaux qui sortent du lot et s'impriment dans l'esprit de manière considérable : "Les Cygnes" et "Aquarium". Le premier, au corde, est un magnifique morceau, harmonieux, célèbre pour tous les violoncellistes, devenu un classique absolu, si bien que Saint-Saens continua de le faire jouer de son vivant. Le second est encore plus célèbre, hymne officiel du Festival de Cannes, avec une orchestration avec deux pianos tout à fait particulière qui évoque le clapotis des profondeurs et l'étrangeté du monde. Un morceau à part à l'atmosphère unique et immédiatement identifiable, iréelle, dont on ne saurait dire s'il est féérique ou inquiétant, mystérieux en tout cas.


L'oeuvre de Saint-Saens est brillante. Elle dépasse la simple fantaisie pour s'inscrire dans les classiques de la musique. Ponctuée par des instants de grâce majestueux et par un sens de la farce et du potache assez original, elle continue d'être jouée continuellement pour les petits et les grands, ce qui fait d'elle une des oeuvres les plus célèbres du répertoire classique. Qui a dit que la France n'avait pas de compositeur ?

Tom_Ab
9
Écrit par

Créée

le 28 juin 2017

Critique lue 80 fois

1 j'aime

Tom_Ab

Écrit par

Critique lue 80 fois

1

Du même critique

La Passion du Christ
Tom_Ab
8

Le temporel et le spirituel

Le film se veut réaliste. Mais pour un film sur le mysticisme, sur un personnage aussi mythique, mystérieux et divin que Jésus, il y a rapidement un problème. Le réel se heurte à l'indicible. Pour...

le 26 déc. 2013

60 j'aime

4

The Woman King
Tom_Ab
5

Les amazones priment

Le film augurait une promesse, celle de parler enfin de l’histoire africaine, pas celle rêvée du Wakanda, pas celle difficile de sa diaspora, l’histoire avec un grand H où des stars afro-américaines...

le 7 juil. 2023

50 j'aime

3

Silvio et les autres
Tom_Ab
7

Vanité des vanités

Paolo Sorrentino est influencé par deux philosophies artistiques en apparence contradictoires : la comedia dell'arte d'une part, avec des personnages clownesques, bouffons, des situations loufoques,...

le 31 oct. 2018

29 j'aime

4