L'avenir est devant
7.5
L'avenir est devant

Album de Mendelson (1997)


L'Avenir est devant



On pense trouver consolations en tout premier lieu, au début du premier album de Mendelson.
C'est pourtant bien méconnaitre Pascal Bouaziz et son humour grinçant, son rire jaune : une phrase porte une notion d'espoir ? C'est tout l'inverse qui se dévoilera sur quinze fresques morbides et poignantes. Une lumière semble paraître derrière les rideaux ? Les hommes nous resteront sombres, indiscernables, sur les différents visuels granulés du disque.


Encore innocent, ou plutôt inconscient, immature, même naïf et surtout fautif d'un trop grand abandon aux autres, Bouaziz réalisera alors un tableau grandeur nature de décrépitude timide, de désagrégation à échelle réduite, et personnelle. Car cette mise à nue est celle du "Je", du "Moi", de l'intime avant tout, à un âge encore adolescent.



En filigranes



L'on vient alors tailler, filer du mauvais coton, rompre les souvenirs, les âges, les hymens.


Les souvenirs se déforment alors dans leur transparence, se trient en boîtes, en matriochkas à ne pas rouvrir parfois :



Il y a des choses dont on se souvient, comme ça et d'autres, quand
même, on voudrait pas mentir



Parfois remonte le goût crasse de la malaisance, quand les petits êtres, la galerie des personnages et émotions scalpellisés ici se démène, s'insulte, ou verse dans la fausse admiration, le semblant malhabile et ahuri ("J'ai dit hein quoi pardon quoi les feuilles automnales ?", ou le refus de mirer bien en face le monde, de porter la responsabilité du regard).


Beaucoup beaucoup de ces gestes passent par le regard en fait, ici ; un regard porteur de vide, du rien (Combs-la-Ville et l'ironique accumulation de manque-à-voir urbains et ternes en est la façade la plus remarquable alors) ; un regard frêle, qui s'estompe dans la distance, le lointain dissimulé par une brume, ou au contraire un regard voisin mais reluquant le diaphane, le mal éclairé et vitreux : comme les instrumentations d'harmoniums, de cuivres sanglotant, de cordes sèches (et les archets sans rire, précise le livret), rien n'est opaque ici, tout est trop transparent, comme éclairé à une bougie trop forte faisant fondre les contours, les instruments comme la cire.



Et l'on chute plus bas, plus bas que tout, vers le niveau zéro...



De ces espaces sans contours, sans limites mais sans horizons, on peine bien à voir l'avenir annoncé en en-tête. Les paroles lancinantes, laissées comme lâchées par hasard, assène des coups de poings rageurs dans le vide, tranchent la matière de cette manière si mortifère et si effrayante...


Le manque de discernement se traduit par l'excès de confiance en la nature humaine, en la corde ("Tant que ça casse, je suis vivant."), le refus d'y croire et l'attachement creux aux choses - le sentimentalisme à vif, qui murmure doucement à ceux qui veulent l'écouter (le fils, l'Amour, soi-même) ; on parle tout bas par peur de déranger, la voix est peu affirmée et détentrice uniquement de détresse problématique et gênante, qui cause tant de peine, de boules dans l'estomac...


Et tout s'enchaîne mal, et presque artificiellement, les tampons sonores se cassent en deux, encore une fois on ressasse l'éloge de la fragilité qui me captive tant, me fascine de cette fascination étrange et désuète comme on est captivé par des breloques de grands-parents qui ne fonctionnent plus.


Un morceau, un cri, cependant, effrayant et extra-lucide entre tous les miasmes alentours : Je ne veux pas mourir, révélateur de toutes les angoisses qui ponctueront une écriture forcée, un exutoire forcené, de plus en plus rêche, décharné, nu et rocailleux que sera la discographie pénible de Mendelson.


Je ne veux pas mourir, en réfutant la Mort, ne fait que l'exposer en pleine lumière, à la vue effrayée de l'Homme qui ne se rendait pas compte qu'il était fini - sans quoi il perdrait du temps à autre chose que se malmener sur sa mort - ou plutôt même qui se le cache.


Paradoxalement, c'est cette ouverture sur l'imminence - à échelle variable - de la fin qui recèle le plus sulfureux du disque - les percées, l'Espoir, l'éclat : la lumière à la fenêtre de la pochette, le "Devant" de l'Avenir, après tout, c'est le lointain, le certain, ce qui nous rattrape tous et qu'on porte en pendentif : la tombe.


Je ne veux pas mourir, c'est cette condamnation à vivre, cette douleur de la condition humaine qui trempe et nous fait parfois nous racler la gorge, la tête, les draps, dans une angoisse de ces angoisses étouffantes de Nuit. C'est une évidence comme un cri, qui redore toute la richesse des adieux, qui me fera exulter encore quelque fois, c'est mon carburant pour fulminer et composer avec ce que me permet ma conscience, ma vie.
C'est une clef de lecture - comme tant d'autres - de l'entière discographie de Mendelson, et la raison d'être de Bouaziz, de l'album, comme une solive irremplaçable, une poutre portante qu'on aimerait à retirer parfois.

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le 29 déc. 2016

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Rainure

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