L’An 40
6.3
L’An 40

Album de Jeanne Cherhal (2019)

Le nouvel album de Jeanne Cherhal me donne l'occasion de retrouver une vieille amie avec à chaque fois un sourire qui se dessine de plus en plus sur mon visage et mon coeur qui se réchauffe lentement. Combustion lente.


Pourtant tout n'avait pas si bien commencé.
Quand je commence, et par le commencement s'iou plaît, avec "Douze Fois Par An", son premier vrai-faux album (elle en a en fait publié un avant, ainsi qu'un ep, mais tous deux passèrent assez inaperçus) en 2004, je repère tout de suite le talent mélodique hors pair de la dame, des paroles ciselées avec un soin assez hors normes et.... une propension un brin moraliste à presque toutes les chansons.


Si Rural et Un couple normal s'en tirent avec les honneurs de l'ironie et d'un humour assez mordant qui cachent assez bien d'un côté comme une sorte de vengeance envers les campagnes françaises et la représentation réelle/fausse qu'on peut en avoir, de l'autre le constat désabusé d'une maîtresse nourrissant trop d'illusions envers son amant.... J'avais été aussi un peu laissé de côté sur des chansons comme "le petit voisin" (tu la sens bien la caricature du petit jeune parisien en fac, chanson à peine sauvée par le constat social d'un immeuble et ses locataires qui cotoîent le jeannot qui évolue en même temps que lui au fil des années vers un constat de dégradation sociale), "ça sent le sapin" ou "les photos de mariage" (il est de bon ton de rigoler sur les chasseurs, certes mais là mouais)... Comment dire, je me sentais floué par l'énorme potentiel dont Jeanne Cherhal faisait preuve à l'époque pour au final livrer des brûlots de chansons faussement révoltés sous la morale. Qu'on laisse ça à Mickey 3D ou KYO par exemple, merci.
Un morceau irréprochable toutefois aux contours rocks aïguisés et saumâtres qu'on jurerait issu d'un Bashung de la dernière période, "La station", 7mn de bonheur pour une balade Tchernobyl après l'heure, Urbex actuel et Lubrizol anticipé. Si, si.


Sur l'album d'après en 2006, deux ans après, "L'eau", il me semble que les choses semblent avoir évoluées en bien. Deux chansons imparables qui sont construites comme des hits faciles à fredonner (je crois d'ailleurs que l'une d'elles, "Voilà" est sortie en single. L'autre étant "canicule", la bien nommée), et des textes bien plus attachants qui portent aussi bien sur des problèmes sociaux actuels difficiles que des histoires d'amour. Les perles comme "Le tissu", "la peau sur les os" "on dirait que c'est normal", "Petite soupe".... Même s'il dispose de chansons plus faibles ça et là, il n'en demeure pas moins plus homogène, plus sincère aussi. Plus chaleureux ou humain donc : Jeanne délaisse le poste d'observatrice distante des constats humains pour venir marcher parmi nous, pleine de superbe.


Puis je délaisse un peu celle qui porte le même prénom que (au choix) une certaine aventurière intrépide qui tenta de bouter les anglais hors de Transe ou bien ma mamie tout simplement.


Les années passent. Time flies.



  1. Durant deux mois à mi-chemin de l'année je n'ai le temps de rien : engagé dans une formation intensive, un bootcamp, et constamment vissé à mon ordinateur portable pour y faire des maquettes de design, je ne passe presque plus sur les réseaux sociaux ou en coup de vent (good-bye sens critique), je délaisse le net. Il faut dire que je suis jour et nuit (eh oui, j'ai souvent fini à minuit quand ce n'était pas à 3h, 4h du matin) à contempler un écran, ça suffit, oh. Je ne vais presque plus au ciné, mes week-end sont aussi pris par le travail... Bref, quand je dis "intense", c'est "intense". Pour survivre et tenir le coup, il me reste la musique. Et encore, côté nouvelles oeuvres, je n'ai pas le temps d'écouter forcément des choses complexes qui prennent du temps d'écoute ou du recul. Il me faut de l'immédiat. J'ai mes playlists, mon ipod, le spotify etc.


Au hasard d'un après-midi, je me laisse tenter par le dernier Jeanne Cherhal.


Je suis à nouveau soufflé par ce piano et ces mélodies qui m'évoquent parfois un peu de loin Yoko Kanno (de loin hein) et puis les paroles... J'avais oublié qu'elle faisait de super trucs. Et puis ces arrangements, wahou... Prenez, "un adieu" dédié à Jacques Higelin, cette chorale finale d'hommes et de femmes. Et puis ce piano, magique, dont elle use et re-use. Au point probablement d'énerver certains auditeurs qui trouveraient ça trop basique. J'entends bien les remarques notez bien, mais chez moi qui aime la mélodie, ça marche du tonnerre.


Et puis les émouvants "Ton souvenir me prend ce soir" qui parle de deuil avec sobriété ou "César" dédié au fils qu'elle a eu entre-temps. Je n'ai pas souvenir d'avoir beaucoup entendu de compositrices françaises parler avec autant d'élégance de la naissance pourtant dure (ici par césarienne à ce que j'en comprends) et de l'accouchement avec une telle douceur et une telle beauté poétique.


"C’est le grand instant du grand réveil
Le début, tout nu dans le soleil
Je te porte comme un monde
Et toi tu choisis la seconde
Qui te fera devenir quelqu’un
C’est le grand dénouement pour nos corps
Mais on dirait que je te garde encore
Si le travail est trop dur
Il faut seconder la nature
Il faut ouvrir un pan de ma peau
Il faut ouvrir un pan de ma peau"


Et puis il y a "69", la meilleure chanson de l'album.
La meilleure chanson française entendue cette année ?


Vous vous doutez très bien de quoi parle la chanson rien qu'à lire le titre et vous avez raison. Mais là aussi elle le fait avec une douceur et une telle beauté qu'on ne peut imaginer meilleur échange amoureux (de fluides, mettons).


" (...) Me boire à la source je crois,
Qu’il n’y a pas de meilleur met pour toi,
.....Blancheur de miel...
Innocents, nageons ensemble dans l’eau de ton rêve,
Ma faim est grande,
Et tes voies laissent tendre ....ton bateau se soulève,
Entend mon sang, qui appelle ton sang,
De ma langue à ta sève,
Nourris mon corps avec ton corps,
Que le festin s’achève.... (...)
"


Le tout traité comme un voyage.
Et oui, comment ne pas imaginer la vie à deux comme un voyage inconnu dans le long chemin de la vie ?


Evidemment l'album est à nouveau avec quelques bas parmi tous les hauts mais la qualité d'ensemble fait à nouveau plaisir.


Bon retour parmi nous chère Jeanne. Bon retour dans mes écoutes. Tu n'en es jamais vraiment partie, te retrouver en est pourtant que meilleur. Merci.

Nio_Lynes
7
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le 6 oct. 2019

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