Nous sommes en 1972. Derrière lui, Tim Buckley peut se targuer de traîner un C.V. exceptionnel. Depuis ses débuts avec les Bohemians et sa rencontre avec les Mothers of Invention, qui le présentèrent à son futur manager Herb Cohen et sa rencontre avec son âme damnée Lee Underwood, Buckley a roulé sa bosse. Il a composé et publié 6 albums studios, chacun source d'une nouvelle remise en question musicale, enregistré un double-live hors du temps, bu et absorbé une quantité impressionnante de "trendy-chemical-amusement-aid", côtoyé Warhol et Cie, continué à boire... Ses derniers albums splendides/échecs commerciaux Lorca et Starsailor le voyaient jongler avec le free-jazz vocal le plus farfelu. Ici, tout change à nouveau, mais plus brusquement qu'auparavant. Sans autre forme de procès, Buckley disperse son ancien groupe et en recrute un nouveau, tout en groove, pour ce qui restera comme sa période "sex-funk".


Dame ! Quelle drôle d'idée, se dit-on d'abord. Jusqu'à présent, l'évolution stylistique du vieux Tim s'était faite petit à petit ; on a pu l'observer basculer doucement du folk rock de l'éponyme premier album à la poésie folk ambitieuse de Goodbye & Hello, vers le jazz-folk délicat de Happy Sad et le jazz vocal de plus en plus chaotique de Lorca, Blue Afternoon et Starsailor. Mais là... du funk ?! D'où sort-il cette idée, le papa Buckley ? Là, les avis et les versions divergent. D'aucuns disent que la pression commerciale l'obligeait à se choisir un style en vogue au risque de compromettre son intégrité, tandis que les autres (Lee Underwood le premier) affirment qu'il s'éclatait autant que d'habitude à explorer ce nouveau style.


Alors, révolution stylistique ou esbroufe ?


C'est vrai qu'il a l'air en forme, le chanteur aux cinq octaves. À commencer par sa voix, qu'il tire, étire, éraille et fait voltiger comme dans le but avoué de décourager tout prétendant à l'exercice vocal. Mais là déjà, quelque chose me dérange. Oui, Buckley a un organe exceptionnel qu'il maîtrise comme personne, on l'aura bien compris et ça ne date pas d'hier, mais il semble parfois dériver dangereusement vers l'écueil du démonstratif (écueil dans lequel son fils se vautrera joyeusement). "Devil's Eyes", ainsi, fait sourire aussi bien qu'elle agace, tant ses gémissements et mimiques vocales paraissent exagérés. (Sur "Get On Top", par contre, le chanteur exalté respecte reste dans l'exubérance sans sombrer dans l'exhibition pure et simple.) Après, peut-être qu'il me manque des œstrogènes pour pouvoir apprécier pleinement le funk animal et farouchement sexuel de Buckley, allez savoir.


Reste que malgré ces incartades, cet album demeure son dernier bon album. Car le disque est bon ! Tim reste Tim, il a toujours sa voix magnifique, et c'est quand il la canalise qu'il est le plus touchant, comme sur "Sweet Surrender" et ses arrangements de cordes bienvenus. "Honk-Kong Bar" et son folk-blues charrie son lot de lourdeur et se montre menaçante comme aucune autre chanson du disque.


Ironie du sort : alors même que Buckley a la possibilité de sortir de la méconnaissance commerciale dans lequel il s'embourbe, il gâche tout avec "Make It Right" dans lequel il grogne "Beat me ! Spank me ! Rape me, oh make me right again". Bien évidemment, l'Oncle Sam Radio-friendly ne manquera pas de se fâcher tout rouge et, censure oblige, Buckley ne passera pas sur les ondes. La suite de l'histoire est triste, avec deux albums pauvres sur lesquels on sent la voix de l'homme s'épuiser et devenir presque conventionnelle. Alors arrêtons nous là, savourons une dernière fois Tim Buckley et son dernier met, poursuivant de ses ardeurs sa nouvelle muse torride.


Chronique provenant de XSilence

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le 30 nov. 2013

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T. Wazoo

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