C’est un moment rare. De ceux qu’on espère secrètement tout en sachant qu’ils n’arrivent presque jamais. Non, je ne parle pas d’une révélation existentielle mais du plaisir procuré par la sortie d’une œuvre majeure de la part d’artistes dont on croyait les heures de gloire depuis longtemps terminées. Il y a quelques années j’évoquais le cas de PJ Harvey offrant avec Let England Shake, un nouveau sommet au sein d’une discographie de haute volée. En 2014 ce sont d’autres musiciens britanniques qui surprennent par leur petit dernier. Pourtant on ne devrait pas être si étonné de voir les Manic Street Preachers renaître de leurs cendres, eux qui y avaient si bien réussi après la disparition de Richey Edwards en 1995. L’histoire fait partie de la légende du rock anglais, Edwards était le principal auteur des textes du groupe sur les trois premiers albums et il lui a donné la tonalité politique et engagée (et même enragée) qui est une de ses principales distinctions. Le 1er février 1995, Edwards disparaissait, deux semaines plus tard sa voiture était retrouvée près d’un pont et aucune autre trace n’a été retrouvée depuis. Même si l’artiste a été officiellement déclaré mort en 2008, les trois autres membres du groupe n’ont jamais cessé de mettre de côté sa part des ventes des albums, dans l’espoir, évidemment très symbolique, qu’il resurgisse un jour.

A l’époque on ne donnait pas cher de l’avenir des Manic Street Preachers, pourtant, un an après la disparition d’Edwards, le groupe revenait avec ce qui reste encore aujourd’hui leur meilleur disque, le fort bien nommé Everything Must Go. A partir de cette apothéose, le succès commercial s’est offert à eux, sans jamais réellement se démentir, du moins de leur côté de la Manche. De bons albums ont émaillé les deux décennies suivantes, avec quelques petites étincelles et un certain ronronnement pas forcément désagréable ; à l’image du très plaisant Rewind The Film sorti il n’y a même pas un an, disque un peu mélancolique et en clair-obscur. Issu des mêmes sessions d’enregistrement, Futurology en est la quasi antithèse.

Tout ce qu’on peut aimer dans la musique des Manics est de retour : l’énergie, le lyrisme, les moments les plus excessifs et grandiloquents. Les allégories politiques et sociales surgissent au détour de refrains immenses. Les cris du cœur, toujours directs et un peu naïfs, percutent l’auditeur. Mais, mieux encore, Futurology surprend. En allant chercher des influences berlinoises, héritées du travail de David Bowie et de Brian Eno dans les années 70, le groupe se réinvente dans la continuité. Bref, cela sonne comme un album des Manic Street Preachers tout en donnant l’impression d’être l’œuvre de nouveaux créateurs. C’est l’effet d’une inspiration renouvelée et franchement inespérée à ce stade d’une carrière par ailleurs bien rodée.

Qu’ils invitent une actrice germanique pour chanter dans sa langue natale (Europa Geht Durch Mich) ou qu’ils déversent des tonnes d’échos sur des hymnes en puissance (Walk Me To The Bridge, Misguided Missile, Sex, Power, Love and Money), les Manics semblent rajeunir et nous emportent dans leur machine temporelle tourbillonnante. Tout aussi emblématiques de la réussite de Futorology sont les deux instrumentaux qui ponctuent la deuxième moitié de l’album, tant il est rare que ce genre d’exercice ne tire pas vers le remplissage. Une preuve supplémentaire ? Même les morceaux bonus sont excellents (Blistered Mirrors, Empty Motorcade et The Last Time I Saw Paris). C’est un disque qui ne repose pas que sur sa puissance immédiate, il fait aussi preuve de nuance et n’hésite pas à prendre l’auditeur à contre-pied. En ce sens, Futurology dépasse toutes les attentes et crée une exaltation qui dépasse le cadre de la simple nostalgie. Si on se laisse porter et si on adhère un minimum au registre élégiaque du groupe, oui, on peut parler de révélation existentielle. Tout ici résonne des notes qui peuvent devenir indispensables pour former un nouvel album fétiche, à ranger dans la lignée de The Holy Bible et de Everything Must Go.
Ed-Wood
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le 22 oct. 2014

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