Viens voir le Docteur

6 ans après la sortie de ce chef-d'oeuvre je viens en dire quelques mots, découvrant cette triste note générale de 6.8.

Collaboration entre Ka et le producteur Preservation, Days With Dr. Yen Lo s'inscrit dans la continuité des précédentes sorties du rappeur de new-yorkais Grief Pedigree en 2012 et The Night's Gambit en 2013 (je laisse Iron Works à part), tout en apportant son lot de nouveautés. C'est la première fois que Ka laisse la production à quelqu'un d'autre, et le résultat s'en fait ressentir. A l'instar d'un Madvillainy, ce projet se démarque totalement de ce qui pouvait se faire en 2015: pas de refrains, l'écriture prend le dessus sur la production, un rappeur qui semble lâcher ses vers comme un chuchotement...

Inspiré de l'oeuvre "Un crime dans la tête" (The Manchurian Candidate), l'album est une plongée dans le monde de l'hypnose (les morceaux sont d'ailleurs ponctués d'extraits de l'adaptation filmique de l'oeuvre). Cet aspect hypnotique on le retrouvera dans les instrumentaux extrêmement épurés, ces boucles à la fois minimalistes et entêtantes, mais également dans le rap toujours aussi soigné de Ka (chose qu'il reprendra en 2018 dans le morceau "Argo": "Flow aquatic, known alone for my slow hypnotic"). Avec une delivery parfaite, et sur un quasi murmure, le MC de Brownsville démontre une fois de plus qu'il est l'une des meilleures plumes de ce genre musical. Assonances en pagaille, doubles sens associant argot et langage littéraire, références culturelles, (ce qui constitue aussi certainement un frein pour certains auditeurs francophones) autant d'outils qui lui permettent de nous livrer des tranches de vie mais aussi une bonne dose d'ego trip (particulièrement présent dans ce projet).
L'alchimie entre Preservation et Ka fonctionne à merveille, il semblerait que les deux artistes étaient voués à collaborer. Puis viens "Day 81", moment suspendu au milieu de cet album, l'arrivée de Roc Marciano, venu survoler l'instru avec une écriture tout aussi fine que celle de son compère (bien que plus "stéréotypée").

Pour en revenir à l'hypnose, chacun y verra probablement un aspect différent (Ka n'a jamais réellement expliqué le choix de ce thème ni la signification des titres de morceaux), critique de l'état du rap en 2016 ? (quelques lignes plus "ego trip" laissent entendre cela "My wine cellar put your bars to shame" ; "Frequency is weak to me if you can't keep it clever"...) ou critique plus générale de la société aveuglée par de hautes instances ? Peu importe après tout, Days With Dr Yen Lo est tout ce qu'on peut espérer d'un bon album de rap, bien que cela soit, je peux le concevoir, difficilement accessible pour certains.

Autant vous dire que l'hypnose a fonctionné sur moi au point que j'applique, en écrivant ces quelques lignes, les dernières instructions de l'album: "Until we meet again feed your friends some Yen Lo"