Continuum
6.8
Continuum

Album de Paul Jebanasam (2016)

T'as déjà mis la tête dans un accélérateur à particules ?

Tu commences à être habitué, chaque année un certain engouement a lieu ici à l'annonce d'une nouvelle sortie de chez Subtext. Le discret label ne sort que ponctuellement de son semi-repos pour nous rappeler sa réputation dans les musiques expérimentales. Après Aftertime de Roly Porter, Rites de Paul Jebanasam, Andøya de Eric Holm ou encore les Études de Yair Elazar Glotman l'année passée, on attendait donc impatiemment le cru 2016. Initialement présenté l'été dernier au Berlin Atonal, ce second album de Paul Jebanasam ne manque pas d'ambition (euphémisme). De la photo du tokamak JET en jaquette, où se déroulent des expériences de confinement magnétique de plasma dans le cadre des recherches sur la fusion nucléaire, à la description particulièrement ampoulée du dossier de presse de Continuum (lire ici), bref, on préférait plutôt entendre la bête pour juger.


Décliné en trois longues plages de 10 à 16 minutes, aux titres offrant toute latitude aux interprétations, Continuum est le siège d’un chaos savamment maîtrisé, d’une partie de billard quantique où particules et astres s’embrasent et se percutent. Si ces friandises pour physiciens et astronomes t’évoquent à juste titre le Life Cycle of a Massive Star de son comparse Roly Porter, Jebanasam se veut plus faste dans son approche de la thématique, ouvrant la porte à d’autres concepts, tout en conservant cette grandiloquence prononcée dans sa narration. Mais là où le premier prenait bien moins de risques que sur les fracassants Aftertime et Third Law (fraîchement sorti), le pari de Continuum est autrement plus audacieux.


Lieu d’une effervescence stellaire, le titre introductif semble en prise à une réaction en chaîne incontrôlable, où s'agitent micro-cataclysmes et déflagrations célestes dans un équilibre précaire, au bord de l'effondrement. Chaque explosion laisse derrière son souffle autant de catalyseurs prêts à accélérer le processus de combustion, flirtant dangereusement avec l'emballement fatal. Dans ce monde en effusion aux allures de cœur solaire, les étoiles se conjuguent en supernovas et les atomes se plaisent à tutoyer l’Univers. Des détonations dont les échos lointains hantent encore le morceau intermédiaire, et nous baignent tels les rayons abrasifs mais assagis d’une étoile distante. De façon plus mesurée donc, offrant le répit (et l’entracte) nécessaire au regard de ses deux voisins turbulents et enflammés.


Ce ne sera que dans le dernier acte où le caractère chaotique se mettra plus en retrait, au profit d’une ambiance résolument électrique, plus froide et mécanisée, et révélatrice de l’arrivée de l’humain dans l’équation. Un rapprochement avec l'immense Mare Nostrum de Hecq n'est pas fortuit. Chaque salve d'énergie propulse ici des décharges qui galvanisent la machine, l'échauffent tels de vulgaires petits tours de tokamak à vitesse subliminique, avant de la lancer à pleine puissance. Alors que la fréquence des blasts augmente sensiblement, on a l'étrange impression (en toute objectivité) que l'on nous fout la gueule dans un accélérateur à particules. Une sensation peu commune, propice à vous fissurer le cerveau pour y laisser entrevoir de nouvelles dimensions. L'écoute au casque s'avère ici indispensable, à un volume à s'en faire vriller les neurones.


Continuum est un album insolent. Prétentieux et grandiloquent pour certains, expérience déstabilisante et sidérante pour d'autres, c'est au final une œuvre à la mesure des ambitions de Jebanasam : une missive incandescente pour s'y consumer.


http://www.swqw.fr/chroniques/experimental-modern-classical/paul-jebanasam-continuum.html

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le 4 févr. 2016

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