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Clôture
6.9
Clôture

Album de Cyril Mokaiesh (2017)

Brillant et conscient, Cyril Mokaiesh prouve qu'on ne clôture ni l'insoumission ni la soif de différ

À lire plus confortablement sur: http://branchesculture.com/2017/01/18/cyril-mokaiesh-cloture-coup-de-poing-loi-du-marche-lavilliers/


Il y a ceux qui, vieux et cons, élaborent des manifestes en s'en prenant à Twitter toutes les trois rimes. D'autres se sont vautrés dans la pornographie de leurs ambitions et engagements passés. Et Renaud qui s'est mis en sourdine alors que Ferré continue de nous manquer. Puis dans le paysage des chanteurs qui ont trouvé autre chose à faire que de chanter des niaiseries, il y a ceux qui ne bougent pas, ne tremblent pas et reste fidèle à leurs idéaux, à leurs convictions. Quitte à, par les temps qui courent, durcir le propos. C'est le cas de Cyril Mokaiesh. Au fil des albums, cet ex-tennisman n'a pas son pareil pour smasher et asséner des uppercuts à une société qui va de mal en pis. Sans doute, son nouvel opus Clôture, muri dans l'air d'un temps pas toujours tendre, est-il son disque le plus engagé. Le plus ébranlant. Le plus réussi aussi.


Revenu de l'Argentine où il avait enregistré son précédent album (L'amour qui s'invente), remis aussi (mais pas tout à fait, le temps d'..."Une vie") de son escapade dans les merveilles naufragères avec Giovanni Mirabassi, c'est dans le plomb d'un quotidien qui manque de légèreté et dans une fièvre aussi électorale qu'extrémiste que Cyril Mokaiesh a décidé de croiser le fer. Baigné dans une actualité où les actus sinistres ne manquent pas, il a suffi d'un premier single, avec l'évidente compagnie de Bernard Lavilliers, pour annoncer (et monter) le ton de cet album. Remarquablement écrit, La loi du marché mariait la puissance et la "raisonnance" de deux voix emplies de justesse, de hargne mais aussi d'un cynisme imparable ("Cap sur l'Angleterre depuis la Guinée, t'as le temps d'apprendre à... nager" qui fait pourtant écho à certaines réactions bien sérieuses) alors qu'Occident et Orient semblent de plus en plus se disloquer, au grand d(r)am(e) de ceux qui bravent la mer pour un avenir meilleur.


C'est clair, sur un drame social et sociétal mis en images par Stéphane Brizé, le cinquième album du "communiste à c'qui paraît" (qui se révèle pourtant un peu plus anti-capitaliste), Clôture (un temps titré Blanc cassé mais finalement encore plus symptomatique de cette drôle d'époque) n'allait pas faire dans la dentelle, même s'il invite le temps d'un agréable duo avec Élodie Frégé (avec qui la collaboration pourrait bien se prolonger et ça tombe bien, le texte de Mokaiesh nous fait redécouvrir la fantastique voix d'Élodie). Un duo, Houleux, pris en tenaille d'un siècle qui froisse les amours et y a trouvé des substituts plus rentables. Plus doux, Cyril Mokaiesh nuance ses coups, sans mettre en jachère l'optimisme mais en doutant que les enchantements puissent durer pour toujours (Je fais comme si qui fait sans doute un peu écho au Poor lonesome piéton de Léotard repris dans l'album Naufragés).


Mais c'est déjà l'heure de revenir à rebours dans les souvenirs, sur une nappe électro suspendue et épurée, non loin du 32, rue Buffault. Suffocante histoire d'amour, brillant dans un genre inattendu. On reprend le contrôle. Et en "Belle sans faire exprès", "une promenade pour qu'on s'évade", Une vie mis en musique exclusivement par Rey Ouwehand pour le piano de Giovani Mirabassi est un superbe morceau. On s'avance sur la digue, c'est dans les effluves d'Ostende que Cyril nous emmène. On croit voir passer Arno, mais surtout Billy The Kid, et voilà une nouvelle chanson qui compte sur nos belges villes. Des morceaux nostalgiques, imprégnés, bucoliques et mélancoliques, toujours beaux et surtout empreints de la poésie et de la force de conviction des grands interprètes.


D'ailleurs, on ne répétera jamais à quel point Mokaiesh fait figure de dernier des Mohicans dans une génération où les "chanteurs" oublient souvent que la musique (même commerciale) ne doit pas oublier de réveiller les mots forts et vivants, signifiants, et ou les interprètes sont bien trop rares. De la race et de la force des Ferré, Mokaiesh est vivifiant dans son propos. Ainsi, Clôture porte un lot de chansons-colères et, même, -batailles lucides et renseignées (quitte à se faire évincer des fréquences radio, tant qu'à faire, même à Nicolas Peyrac on a bien fait le coup, et à bien d'autres). Ainsi, en troisième pose c'est dans la tristesse d'un vendredi 13 que Cyril déambule sans fin sur le champ de bataille démesurée des attentats de Paris, surplombé par le "vol noir des corbeaux". De l'émotion, sensible, Mokaiesh ne se fait pas berner, horrifié par les drapeaux et les "Aux Armes" qui appellent la haine. En demeure une des plus belles et plus raisonnées chansons post-13 novembre.


"Qu'est-ce que c'est, ce vol noir de corbeaux? Qui nous fait brandir le drapeau. Aux armes, j'en ai pire que froid dans le dos."


Plus loin sur la droite, c'est dans Ici en France que l'auteur-compositeur affine et affirme son propos. Une volée de bois vert à l'égard du FN, de "sa fasciste blondeur", des "enfants de la révolution manquée", des "médias aux allures de diktat" et ceux qui prennent "l'histoire pour un coup d'un soir". La formule est on ne peut mieux choisie et conjuguer à l'art de les chanter, le brûlot prend tout son sens. Aimant la France, cette terre de chance, c'est dans ses appels à être "ivre de différences et d'intelligence" que Mokaiesh touche, une nouvelle fois, la corde sensible et frappe d'une belle gauche.


Mais du venin bien placé, Cyril en a encore. Preuve avec seuls, flingueur dans tous les côtés. Variation sur "Homo homini lupus est lupus", Mokaiesh convie l'ombre de la solitude qui semblent gagner les vies des honnêtes hommes mais aussi des moi-je et certains politiciens (Macron, par exemple) pour qui la solitude est un argument publicitaire avant le "cumul des mandats". Avec ses choeurs bien troussés (mais sur tous les morceaux, la réalisation est impeccable), Seul est un autre coup de poing en règle, un autre éclair de clairvoyance. Mokaiesh est un guerrier et on compte les points gagnants sur cette société outragée et malmenée.


"Seuls à se prendre pour les rois. Article 49.3 et puis votez pour moi, qui me suis fait seul depuis la France d'en bas."


Mais la pièce-maîtresse de l'ouvrage, celle qui donne (en plus du nom de l'album) un peu plus sons sens à cet opus, reste à venir pour un final éclatant, déchirant comme une peau qui se stigmatisent sur la... Clôture. Une fresque, un slam plus qu'une chanson à la fois désillusionné et vigoureux, un appel au réveil des consciences, à faire fi des manipulations qui viennent de tous les côtés. Les cordes viennent chercher Cyril dans son lit et imbibe cette chanson, un coup de maître qui n'"a rien à léguer" mais qui a tout à gagner. On pense vaguement à Arnaud-Fleurent Didier et à son France Culture, en beaucoup plus brut de décoffrage. C'est trash, cru, tout en punchlines ("Ici, le FMI, F M I, savez-vous à qui vous parlez? Nous avons le bras long et la bite à l'air et de quoi faire pression! Allez, détendez-vous!"), incisif et jusqu'au-boutiste dans ses appels au peuple pour qu'il reprenne ses droits et fasse bloc. "Ne votez plus, je répète ne votez plus". Une phrase qui en a déçus à la première écoute, mais qu'il convient sans doute de comprendre dans la globalité de ce protest song par excellence qui demande simplement de ne plus être des moutons mais, dans les traces du Petit Prince, d'en dessiner comme autant de bulles d'air.


Avec Clôture, Cyril Mokaiesh livre un disque sombre et fort, choc, totalement en adéquation avec les jours que nous vivons et en se souciant d'un demain qui pourrait être pire. Sans filtre et sans arme, mais surpuissant d'une plume acerbe et inspirée, en "soldat" virulent contre un "gag de monde", Mokaiesh est plus fort que jamais, plus inspiré aussi, et transcende son sujet et son auditeur-acteur. Car Clôture ne se consomme pas comme un divertissement, il ne se consomme pas du tout, mais il ne trouvera sa raison que s'il est compris et vécu ardemment. À seulement 31 ans, Mokaiesh est un grand, immense même!

Alexis_Seny
10
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le 23 janv. 2017

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Alexis Seny

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