Braquage
6.8
Braquage

Album de Marie Flore (2019)

Docteur Marie et Madame Flore

Elle s’appelle Marie Flore, en référence à une chanson de Joan Baez. Deux prénoms regroupés en un, comme pour mieux refléter la dualité qui habite son œuvre : Marie chante des chansons d’amour d’inspiration folk avec une voix douce et lancinante et ne jure que par Leonard Cohen, Flore balade ses rimes crues et acérées sur des instrus rap et rêverait de rencontrer Damso et PNL. Marie veut mettre l’amour et les relations amoureuses modernes au cœur de son premier album, Flore veut tout simplement l’appeler Braquage.


Cette dualité n’est plus surprenante aujourd’hui, tant le rap emporte tout sur son passage dans le paysage musical occidental depuis quelques années. Autrefois cantonné à un message contestataire dans le champ médiatique, le rap s’est émancipé de son rôle révolutionnaire pour développer ses sonorités, jouer avec les genres contemporains, expérimenter. Si bien que le terme « rap » paraît désormais dépassé, tant son champ d’application et son polymorphisme sont devenus gigantesques. Après le rap-variété de Lomepal (dont le single « Trop beau » est la quintessence), voici venu le temps de la variété-rap de Marie Flore. Et comme l’a montré Lomepal (et bien d’autres), ces deux genres, qui paraissaient il y a peu aussi irréconciliables que l’eau et l’huile, se révèlent ici complémentaires.


Ce sont bien les attributs de la variété qui se manifestent en premier dans le morceau d’ouverture Qcc, mystérieux acronyme (?) qui relate l’incompréhension de la chanteuse par rapport à sa situation amoureuse. Marie Flore encourage son être cher à engager une discussion profonde sur leurs sentiments et leur futur commun. C’est ce va et vient entre le « toi » (ou le « lui » selon les chansons) et le « moi » de l’artiste au nom du « nous » commun qui va servir de toile narrative à l’ensemble de l’album.


En ce sens, Braquage est un témoignage de l’évolution des relations amoureuses du XXIème siècle. La génération Désenchantée de Mylène Farmer s’est propagée jusqu’à notre époque, l’amour n’est plus sacralisé et idéalisé, il se consomme avec sarcasme et froideur. Source de désillusions, l’amour n’a jamais autant eu à se réinventer, entre libération de la sexualité et révolution des genres. A la manière d’un braquage, il est agressif, provocateur, et dévaste.
La recherche à corps perdu de cet amour insaisissable, de ce « nous » idéaliste, n’est toutefois pas le seul marqueur de modernité de ce disque. Comme vu précédemment, les éléments de rap, mais également les sonorités dreampop et synthpop très en vogue, participent activement à cette tâche.


La voix douce et traînante de Marie Flore, quelque part entre celles de Suzane et Clara Luciani, s’essaye au phrasé rythmé et technique du rap, ajoute ses ad libs et backing vocals sur des instrumentations aux kicks lourds renforcés par une cascade de hi hats caractéristiques. L’exercice est maîtrisé, et le résultat plutôt prometteur, comme on peut l’entendre sur le détonnant Pas envie ou sur Braquage, dont l’intro ressemble à s’y méprendre à un morceau de Damso. Qui sait, le rêve de rencontre de ces deux artistes se réalisera-t-il un jour ?


Le principal défaut de ce disque réside dans sa répétitivité. Les mélodies sont dans l’ensemble bien réalisées et marquantes, mais les thèmes abordés varient peu. La vision de la relation amoureuse par le seul prisme du « toi » et du « moi » qui forment un « nous » est très rébarbative, et arrive à saturation sitôt les premiers morceaux passés. On n’avait en effet jamais autant entendu les mots « toi » « moi » et « nous » répétés tant de fois depuis Grégoire avec son pitoyable « Toi plus Moi », mascarade parmi les mascarades. On pourra également regretter l’aspect vocal un peu trop monocorde et linéaire de la chanteuse, qui peine à se renouveler pour réellement maintenir l’intérêt de l’auditeur éveillé durant tout l’album.


Toutefois, il faut souligner qu’il n’y a pas de mauvais morceaux, et qu’on alterne constamment entre le moyen et le très bon, ce qui est remarquable pour un premier album dans ce style. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai choisi d’arrondir à un petit 7 plutôt qu'un gros 6 mon appréciation finale. De plus, les défauts que j’ai énoncés pourront selon les cas se révéler être des points forts. Il est probable que vous adoriez l’ensemble des morceaux si vous accrochez suffisamment aux singles, ou si vous vous reconnaissez dans les thèmes abordés par la chanteuse. Et si vous voulez partager votre spleen amoureux "Marie Florien" en groupe, sachez que celle-ci sera sur la scène de la Cigale le 28 Septembre 2020. La communion sacrée du « toi » « moi » et « nous » n’aura jamais été aussi puissante !



  • En quelques mots : La nouvelle variété française

  • Coups de cœur : Qcc, Pas envie, Cambre

  • Coups de mou : M’en veux pas, Derrick

  • Coups de pute : RAS

  • Note finale : 7-

JLTBB
7
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le 5 avr. 2020

Critique lue 174 fois

3 j'aime

JLTBB

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