Après 150 000 bouchées de leur premier album vendues et plus de deux cents concerts en deux ans, Dan Levy et Olivia Merilahti s'affichent plutôt sereins lorsqu'ils rejoignent une maison du Lubéron à la fin de l'été 2009 pour bûcher sur un second effort. A Mouthful, paru en 2007, apportait un témoignage pop à gros succès rafraîchissant de créativité, notamment grâce au single "On My Shoulders" matraqué à outrance sur toutes les radios : le deuxième opus était donc logiquement attendu avec impatience par un public à la fois populaire et élitiste.

"Plus c'est le bordel, plus on s'y retrouve"

Dan Levy, le D du DO et principal compositeur du groupe, s'exprime en ces termes à propos du processus de création du duo et affiche ainsi une grande lucidité vis à vis de créations très éclectiques et plutôt réussies sur un premier album inventif. Il aurait pu en être de même sur Both Ways Open Jaws... Mais le résultat final frustre et agace. L'esprit espièglement varié et délicieusement puéril n'est plus : The Dø emprunte la voie de la maturité et abandonne une guitare dont la couleur était pourtant aussi représentative de l'identité du groupe que le timbre haut-perché de la franco-finlandaise Olivia Merilahti. Sur ces treize compositions kaléidoscopiques parfois pétillantes mais souvent benoîtes ("Was It A Dream", "The Calendar"), le duo s'égare et divise ses auditeurs : le génial ("The Wicked & The Blind", "Gonna Be Sick!") côtoie le rasant ("Moon Mermaids")... Les instruments aussi se mélangent, jusqu'à s'emmêler : trompette, claviers, violons, violoncelle, harpe, flûte, saxophone... Un déluge de sonorités s'échappe d'une écoute et submerge ; l'envie de fournir une oeuvre riche en ambiances est louable, mais elle ne fait que la desservir.

Nonobstant ces défauts finalement assez logiques pour un second album, il fallait tout de même compter sur The Dø pour engendrer quelques perles d'inventivité et d'originalité. La chanson introductive "Dust It Off", au même titre que la post-rock et très Sigur Ros "Leo, Leo", est apaisante et séduisante de naïveté assumée. La tribale "Slippery Slope" reste en tête car elle tranche directement avec les autres compositions du recueil. Directe et envoûtante, dont le clip rappelle inévitablement l'univers électro-sombre de Fever Ray : la chanteuse se mue en chef de tribu et ensorcelle ses adeptes. Le plus étonnant dans ce titre réside dans ces incantations shamaniques finalement monotones mais sublimées par une transe captivante et de très bonnes idées rythmiques. Olivia Merilahti gagnerait d'ailleurs beaucoup à étoffer ce côté plus sombre et à quitter cette image de "femme-enfant". "The Wicked & The Blind" est le sommet de l'album : psychédélisme et ambiance 70's s'unient à travers un son de guitare et des arrangements électros fascinants pour le plus grand enchantement de l'auditeur. Ce seul titre démontre que The Dø est bien meilleur dans des compositions plus "classiques" que dans l'expérimentation. Cependant, il serait ridicule de leur reprocher d'essayer d'inventer, malgré cette tentative peu concluante.

"Dust It Off", après traduction "Epoussetez-moi ça", signale ironiquement la preuve d'une grande lucidité du groupe sur son travail et notamment sur Both Ways Open Jaws... Mais pourquoi ne pas appliquer ce discernement à des fins musicales ?
"Epoussetez-moi" tous ces arrangements superflus et labyrinthiques, "époussetez-moi" le nombre indéterminable d'instruments, mais salissez-moi cette voix trop lisse et enfantine qui ne demande qu'à se diaboliser, se mystifier et se laisser emporter par cette "pente glissante" ("Slippery Slope").
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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Benoit Baylé

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