Country glam pop rock improbable. Et réjouissant.

Il faut bien avouer une chose, c’est que dans plus de 90% des cas, les « side projects » des membres de groupes importants – quoi que ce soit que ce terme signifie – ne présentent pas grand intérêt. Au mieux on a à faire à une version amoindrie de la musique du groupe (on se rappelle avec horreur les albums solos de Mick Jagger, et on a supporté ceux de Ian McCulloch seulement parce que Echo & The Bunnymen étaient séparés), et au pire, à des tentatives stériles de « faire autre chose », à se lancer dans des expérimentations hasardeuses (tiens, au hasard, souvenons-nous d’un Andy Partridge s’affranchissant temporairement de XTC, et du coup, de son génie). On me rétorquera avec raison que Damon Albarn a créé Gorillaz hors de Blur, et que Thom Yorke fait de bonnes choses sans Radiohead : on vous l’accorde, alors disons que ce le projet parallèle d’Ambrose Kenny-Smith, l’un des deux leaders / chanteurs de King Gizzard & The Lizard Wizard tient plus de ce miracle-là justement. Car The Murlocs, le groupe qu’il a formé, voilà 10 ans déjà avec l’aide d’un autre musicien de KG, Cook Craig, tient formidablement bien la route. Et réussit surtout, ce qui n’était pas joué à l’avance, vu le territoire couvert par les Australiens psyché et stakhanovistes, à être… totalement AILLEURS.


Expliquons-nous : après le démarrage efficace mais déstabilisant de "Francesca" (déluge d’harmonica, dans une ambiance outback profond, juste transcendé par un soin mélodique qu’on ne trouve pas forcément aussi nettement chez King Gizzard), voilà qu’Ambrose nous dévoile sa véritable ambition : être Sparks à la place de Sparks. Culotté, quand même : chanter comme Russell Mael, composer des mélodies pop comme Ron Mael, puis les jouer avec cette même emphase martiale vaguement ironique… ce n’est pas donné à tout le monde ! Il nous faut reconnaître que The Murlocs relève régulièrement le défi, et frôle même parfois l’excellence, sur des titres comme "Skyrocket" – une franche réussite – ou "Blue Eyed Runner"… Bon, il est tout à fait possible qu’il ne s’agisse là qu’une coïncidence, la renommée des Frères Mael en Australie devant être proche de zéro, mais en tout cas, l’effet obtenu est impressionnant.


Pourtant, quelque part, résumer ce beau disque à une seule influence serait injustement réducteur : car "Bittersweet Demons" va aussi marauder sur les terres du rock’n’roll basique « à l’américaine », avec une touche glam quand même, comme sur le roboratif "Illuminate the Shade". Et puis il y a aussi le retour de cet harmonica qui sonne joliment incongru, entre Neil Young et Ennio Morricone, dans pas mal de titres, pour conférer une touche country cinématographique, qui séduira les nostalgiques d’une musique ancrée dans la terre poussiéreuse ("Skewiff", "Limerence"…). Sans même parler du fait que ceux qui regrettent l’époque où Arcade Fire nous tordait le cœur avec leur fameux lyrisme froissé trouveront quelques minutes de consolation dans la conclusion tremblante et tendue de l’album, "Misinterpreted".


Un peu d’attention portée aux textes ne nous éclaire pas particulièrement, comme si à la mosaïque des genres musicaux correspondait un macramé de sujets : le groupe nous dit qu’il a voulu parler de toutes les personnes « who leave a profound imprint on our lives, the saviors and hellraisers and assorted other mystifying characters » (… qui laissent une empreinte profonde sur nos vies, les sauveurs comme ceux qui sèment le chaos, et un assortiment d’autres personnages mystificateurs). On les croit sur parole, mais on soupçonne qu’il s’agit là d’une blague pour encore plus nous égarer.


Oui, "Bittersweet Demons" est un album inclassable, qui voit Ambrose et sa bande gambader vaillamment dans tous les sens, parcourir tout un spectre d’humeurs contradictoires, jouer du Rock comme s’il n’y avait aucun lendemain possible : sans remords, ni regrets, comme disait l’autre. Et savez-vous ? Eh bien, c’est drôlement rafraîchissant, en dépit de la chaleur du désert, là-bas, down under.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/06/29/the-murlocs-bittersweet-demons-country-glam-pop-rock-improbable-et-rejouissant/

EricDebarnot
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le 8 juil. 2021

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Eric BBYoda

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