A consommer avec modération
Halte à la pudibonderie ! La femme tendance 2012-2013 se dévergonde par procuration entre les pages de Cinquante nuances de Grey ou Marie-Claire (et ses témoignages aventuriers type « J’ai testé l’échangisme »), ou par des virées lesbiano-sensuelles dans les salles obscures (« Les adieux à la reine », « La vie d’Adèle »). On était donc en droit de s’étonner que cette vague de libertinage ne touche pas encore le terrain musical, qui se contentait jusqu’à aujourd’hui des traditionnels leçons de distinction de Rihanna, Madonna, Gaga, et autres filles en A. Merci donc à Elodie Frégé de prétendre nous émoustiller les oreilles. On vous résume la bio de la demoiselle : Elodie, c’est la gagnante de la Star Academy qui n’est pas brune, n’enregistre pas de disques en breton ou à l’insu de France Gall, mais préfère s’acoquiner avec Benjamin Biolay pour déclarer que « rien ne dure au-dessus de la ceinture ».
Quelqu’un de tout à fait présentable donc, qui continue sur sa petite lancée érotico-bobo-chic avec un nouvel album au titre charmant, « Amuse Bouches ». L’inspiration est sud-américaine (bossa nova, rumba), et donc idéale pour l’été, avec ce grand nappage de nostalgie sixties nécessaire pour marcher. Les paroles sont poétiques, alambiquées et l’ensemble, extrêmement cohérent. Conclusion, cet album est soigné. Il est à la variété actuelle ce que le sucre est à la crème brûlé : la couche supérieure et croustillante.
Mais alors, pourquoi est-ce surtout l’exaspération qui nous gagne au fil de l’écoute ? Elément de réponse dans la tracklist : « Mes bas », « Pique-nique sur la lune », « Garce Carbonique », « Ma langue au chat », « Ma bouche »… La frontière est mince entre sensualité exacerbée et parodie digne d’un roman de gare pornographique. On pense souvent aux Inconnus et à leur personnage d’Hervé Cébonnard (« J’enfonce… ma clef dans la serrure. Tu écartes… les rideaux, mon amour »). On conçoit que l’exercice soit difficile à tenir sur tout un album, et donc que la moindre facilité d’écriture nous fasse passer de l’érotique au risible. La voix d’Elodie Frégé n’arrange rien au problème. On dit « la voix », on devrait parler de « minauderies ». La demoiselle se languit en faisant claquer la langue, badine la bouche en cul et, surtout, susurre (ou « suce sur », version Inconnus) à vous en faire sentir son souffle et ses soupirs dans vos écouteurs. Sur un ou deux titres (notamment le très bon lead single « Comment t’appelles-tu ce matin ? »), ça va. Au-delà de dix, bonjour les dégâts et c’est ainsi que l’album se clôt sur une reprise de « Tu veux ou tu veux pas », parfait condensé de ce que cet album présente d’insupportable. N’est pas BB qui veut.
Au final, un disque qui porte bien son titre : les « amuse-bouches », en petites quantité c’est bon, mais gare à l’indigestion !