Froid et clinique, une histoire sans histoire

J'attendais beaucoup de ce film au synopsis intriguant, à la promesse de l'exploitation de zones morales grises, au contraste entre petite vie "paradisiaque" et l'horreur des camps à côté, jamais montrés. Mais les partis pris forts du réalisateurs me laissent perplexe et déçu, malgré une qualité de mise en scène indéniable.


Déjà, le film peine à être prenant : il n'y a pour ainsi dire aucune histoire, aucun enjeu, et on en sait autant au bout de 20 minutes qu'à la fin du film.

Certes, c'est volontaire : on veut montrer la vie quotidienne, la "banalité du mal" d'Hannah Harendt, dans un cadre qui ne fait rêver personne et dont on s'étonne que les personnages s'accommodent si facilement. Mais mettre autant de distance avec les personnages, notamment à travers des plans toujours distants, jamais centrés sur leurs visages, c'est déshumaniser totalement les personnages du film.

Et encore une fois, cela semble volontaire, mais enlève tout investissement émotionnel du spectateur, qui n'apprend rien sur les membres de la famille et leurs liens. Aucune relation n'est explorée entre les personnages, l'absence de dialogues y contribuant fortement. On ne connait pas vraiment les enfants, qui ne semblent pas complétement indifférents à cet environnement lugubre, ni personne d'autre.


Tout dans le film est froid, clinique, des personnages aux dialogues en passant par la mise en scène. Ce parti pris est osé, et n'est pas sans qualités, mais ne raconte rien.


Cela étant dit, la fumée, les fours, l'odeur, les bruits, tout cela est immensément travaillé et produit l'effet escompté : même à l'extérieur du camp, on n'en sort jamais vraiment ; et on laisse à l'imagination du spectateur ce qu'il se passe à côté.


Autre point de blocage : beaucoup de sujets intéressants sont abordés sans l'être vraiment, ce qui est parfois frustrant :

La visite de la mère (et son départ), la relation extra-conjugale supposée du mari, sa maladie, les "tocs" de ses enfants, la famille polonaise qui nourrit les prisonniers, et j'en passe.

Tous ces sujets, au potentiel narratif certain, ne sont mentionnés ou montrés qu'une fois, et auraient mérité selon moi d'être explorés.


En bref, la Zone d'Intérêt est un film d'auteur clivant, pas tant par l'exploration de dilemmes moraux et de zones grises, mais par des choix scénaristiques originaux et improbables.

AntoineFF3
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le 18 févr. 2024

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