Cecil B. Demented de John Waters. Ce film a une résonance toute particulière pour moi. Lorsque je l’ai découvert à sa sortie en vidéoclub (soit au tout début des années 2000), j’étais déjà dans une phase où les produits formatés hollywoodiens m’intéressaient de moins en moins. Je me lançais à bras ouverts dans le cinéma asiatique avec l’import afin d‘assouvir ma soif de films différents. J’arpentais les vidéos clubs à la recherche de ces petits films pas ou peu connus mais valant néanmoins le détour. Je commençais à volontairement zapper tous ces films dont tout le monde parlait. Alors forcément, ce film du trublion John Waters dans lequel un réalisateur underground fait un gros fuck à l’industrie hollywoodienne, allant jusqu’à kidnapper une grande star pour la forcer à tourner dans son film sans le sou, ça m’a tout de suite parlé. Enfin j’avais l’impression qu’on me comprenait, alors qu’il était difficile pour moi d’exprimer mon ressenti sur le cinéma à mon entourage sans passer pour un fou. Je revois le film 20 ans après, toujours avec le même plaisir, mais avec vingt ans de plus me permettant de voir ce que je n’avais pas vu/compris au premier visionnage.


Avec Cecil B. Demented, John Waters s’attaque à la “guerre” (notez les guillemets) de longue date qui existe entre la machine hollywoodienne, et ses films à gros budgets, et le cinéma indépendant, et même underground, souvent beaucoup plus modeste mais faisant souvent preuve d’inventivité. Le réalisateur sait de quoi il parle vu qu’il est une des figures de proue du cinéma indépendant des années 60/70 avec des films undergrounds tels que Mondo Trasho (1969), Pink Flamingos (1972) ou Female Trouble (1974). Bien que s’étant attiré les foudres des puristes de ce genre de cinéma dans les années 80/90, l’accusant de s’être vendu à Hollywood avec des films tels que Hairspray (1988), Cry-Baby (1990) ou encore Serial Mother (1994), ses films de cette époque gardent malgré tout un côté outrageux, impertinent, avec cette volonté de se démarquer des grands cinéastes souvent grand public. Cecil B. Demented parlera forcément à ceux qui partagent cette idée que le cinéma hollywoodien est devenu de plus en plus fade, de plus en plus formaté. Un cinéma où l’expérimentation n’a plus sa place et où la recherche du profit, souvent au détriment de la qualité, prime. Il condamne une industrie avide d’argent en parodiant le système, en exagérant les traits à outrance, en mettant en scène Cecil B Demented, sorte de gourou cinématographique, et de ses suivants cinéastes complètement fêlés qui vont kidnapper une des plus grosses stars hollywoodiennes, complètement imbuvable, afin de l’obliger à jouer dans leur film sans le sou dont le sujet est de dénoncer ce système hollywoodien qui conditionnerait les spectateurs à voir des films aseptisés, dans le but de mettre le cinéma commercial sur les rotules. Cecil B. Demented parlera à ceux qui pensent qu’il faut aller chercher du côté du cinéma indépendant pour trouver un peu d’originalité, pour trouver des films différents. Des films qui ne dépendent pas que de leur budget ou d’une hype du moment. Mais là où, il y a 20 ans, je n’avais vu que le brûlot (volontairement) grotesque, voire WTF, contre Hollywood, j’avais loupé toute la fustigation envers le cinéma underground. C’est la sagesse il parait…


Hollywood y est certes clairement dépeint comme une machine à films sans âme, sans originalité, et en prend méchamment pour son grade. Tout y passe : les acteurs et leurs caprices de stars, les réalisateurs interchangeables, les producteurs véreux, les exploitants des salles qui ne privilégient qu’un type de films, les distributeurs qui font n’importe quoi avec les films, … Mais le cinéma underground y est également tourné en dérision. Outre le jusqu’auboutisme de la petite équipe qui frise parfois le n’importe quoi, ce sont bel et bien les personnages qui la composent qui sont ridicules. Chacun est une grosse satire de quelque chose. On a l’ancienne actrice porno, la sataniste, le drogué, le punk rockeur, et tout un pan de déviants sociaux et sexuels tels que le coiffeur hétéro ou le conducteur de camion gay. Tous vouent un culte complètement extrême à leur réalisateur qui s’apparente clairement plus à un gourou, Cecil B. Demented donc, qui est sans doute le personnage le plus antipathique tant il ne change pas d’un iota du début à la fin, aveuglé par ses idées extrémistes du cinéma. Maniaque, fanatique, déterminé, il se considère comme le plus grand réalisateur de tous les temps, un messie envoyé pour détruire le cinéma commercial. Ce n’est pas bien plus glorieux de ce côté-là donc non plus, bien qu’on sente que John Waters, malgré toute l’antipathie qu’ils peuvent parfois dégager, les porte dans son cœur, nous laissant deviner malgré tout de quel côté balance son cœur. C’est donc cette petite bande de trublions que nous allons suivre et de cela va découler un déluge de blagues, parfois très intelligentes, parfois complètement en dessous de la ceinture, et une succession de scènes toutes plus foutraques les unes que les autres, à l’image du film qu’ils essaient de mettre en boite. Il n’y a pratiquement aucun sujet tabou que Waters n’aborde pas. Ça fuse dans tous les sens, ça déborde d’énergie, peut-être trop même parfois, et le chaos ambiant qui règne dans le film, aussi bien au niveau de ce qu’il raconte que des personnages ou même des dialogues, lui donne un côté punk destroy qui le rend quelque part assez unique. D’autant plus que l’excellent casting, composé de têtes connues telles que Stephen Dorff (Blade, City of Crime) ou Melanie Griffith (Body Double, Another Day in Paradise) et de moins connues à la sortie du film telles que Maggie Gyllenhaal (The Dark Knight, La Secrétaire) ou Michael Shannon (La Forme de l’Eau, A Couteaux tirés), tous se donnent à fond dans sans doute le rôle le plus barré de leur carrière.


Bien que moins déviant qu’à ses débuts, John Waters signe avec Cecil B. Demented un film rafraichissant, foutraque à souhait, décalé et débordant d’énergie. Un film unique, une satire du milieu du cinéma qui ne laissera pas indifférent quoi qu’il arrive (en bien ou en mal).


Critique originale avec images et anecdotes : DarkSideReviews.com

cherycok
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le 27 mars 2021

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