We Own This City
7.5
We Own This City

Série HBO, OCS (2022)

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Je suis plutôt pas compliqué, comme gars. Je vois David Simon et Ed Burns sur une mini-série, je clique. Si j'avais pas eu l'infortune de trébucher sur le chef d'œuvre de ce maudit Pialat, The Wire serait encore numéro un dans mon petit cœur. Reste que merde à Lynch et merde à Bergman, The Wire c'est mon numéro deux, et numéro deux c'est cool, c'est solide, numéro deux ça claque, numéro deux c'est Vegeta.

Alors je m'embarque dans We own this city. C'est parti, je visionne. Si le premier épisode peine à me passionner et me faire comprendre l'intérêt de ce que je regarde, je ne perds pas espoir et je me dis même que la fin de cette pénible introduction parvient à me réveiller et chatouiller ma curiosité.

Cette petite curiosité, ce laisser-aller émotionnel assumé aux vices et délices du cliffhanger, ce trois-fois-rien de voyons-voir, cette poussière d'étoile dans mon œil non-directeur... ce sera le point culminant de tout ce que cette série aura bien pu me faire ressentir de positif.

J'ai passé de longs et laborieux épisodes, succession interminable d'arrestations et sévices, à me demander où ce merdier voulait en venir, ce qu'il voulait me dire, ce qu'il voulait me faire ressentir.

Laborieux, ce doux vocable, je m'autorise à le taper une deuxième fois ici bas, parce qu'il est sorti de ma bouche à pas mal d'occasions en cours de visionnage.

Je ne suis toujours pas sûr d'avoir compris le projet de cette série. Tout ce qu'elle dit, The Wire l'avait déjà montré. J'insiste sur les termes. Et je paraphrase : We own this city, c'est un echo maladroit, déformé, explicite, moralisé, ennuyeux, fastidieux, déséquilibré, de The Wire. Tout ce qu'on y voit, on l'a déjà vu en plus intelligent et talentueux dans la série-mère, alors à quoi bon cette suite qui dit pas son nom ? Qu'apporte-t-elle de plus au projet The Wire, aux séries, à quoi que ce soit, à qui ce soit ? Pourquoi elle vient zoner dans ma télé ? Qu'est-ce qu'elle fout là ? Qu'a-t-elle à dire, à montrer ?

Pour le dire en des termes plus techniques, le truc veut dénoncer j'sais pas quoi de ta sœur l'histoire vraie de mes pieds. L'air de rien ça a une espèce de projet politique, ça fout les pieds dans plein de plats moraux, ça se fout à charge d'un groupe de flics dont on se fout complètement sans rien dire d'universel ou intéressant, ça lâche des mots-clés bien chargés genre « colonialistes » dans des conversations où ça n'a aucun sens, ça te coche vite fait une case de féminisme dans une voiture épisode 5 parce que ah merde on avait oublié ça.

Mais même moralement, en fait, je trouve le truc à côté de son slip. Ça va te mettre sur le même plan éthique le fait de se griffer une petite taxe sur le cash d'un dealer et le fait de causer le décès d'un innocent dans une course-poursuite, ça va te mettre sur le même plan de frauder ton employeur aux heures sup' et de braquer des citoyens dans la rue. Ça fait aucune nuance, aucune mesure, ça te bourre tout dans le même sac, c'est désespérant de misère intellectuelle et morale. Ce qui se passe dans la tête du personnage de Sean Suiter avant son suicide est complètement révélateur du bordel moral de cette série : le gars mélange tout, des trucs graves, des trucs dont on se tape, des trucs où la plupart du temps il est même pas acteur, pour lui c'est tout pareil, et au bout du compte il se fout en l'air pour rien, pour une petite manip' dans une sous-affaire de l'affaire qui lui aurait peut-être coûté deux ans de tôle à tout casser, et encore. Satan sait que j'aime bien Jamie Hector, à la limite il sauve peut-être certaines séquences ; mais la détresse de son personnage dans la dernière saison je la ressens pas du tout, son gros plan dans le miroir il sonne forcé, parce que les enjeux moraux de son arc narratif reposent sur des fondements abstraits, inconsistants, irrationnels même, détachés du réel.

Histoire de pas boucler sur The Wire comme un con je tape un petit coup d'Engrenages, tiens. Les Gilou, les Laure, les Tintin, on les voit faire des trucs pires que ce qu'on peut voir dans We own this city, et la série cherche même pas à les défendre ou à les légitimer. Parmi tous leurs dérapages je pense à Laure qui perd ses moyens et abat un fumier désarmé, et dans la foulée ses deux collègues maquillent la scène de crime pour la couvrir, sans que personne ne prononce un mot. C'est glacial et pourtant c'est beau. On reste attachés à eux, on s'intéresse à leur sort, même quand ils méritent pas notre adhésion ils ont au moins notre bienveillance, dans toute la beauté et la laideur du machin. On les suit et on est en empathie avec eux, pas politiquement, pas parce que flics ou pas flics, pas parce que gauche ou droite, mais parce qu'ils sont humains. Une ambiguïté morale qui tient pas son spectateur par la main, qui porte pas de jugement, qui dit pas quoi penser, qui crée juste de l'intimité avec les personnages et te laisse te démerder avec.

Cette We own this city a la prétention de le faire mais elle fait semblant. Ouais allez une page de scénario où on envoie Jenkins acheter du poulet à des flics en galère, sa collègue insiste bien sur le fait que ça lui a coûté six cents balles, et une ou deux scènes plus tard on a un ancien compère qui assène que Jenkins a de nombreuses facettes. Voilà voilà, cinq minutes de boulot sur six saisons, vous avez vu comme Jenkins il est trop ambigu comme personnage maintenant ? Allez c'est bon on continue à le défoncer.

Cette confrontation entre les manifestants et les flics aurait pourtant pu être un moment où il se passe enfin quelque chose, pas dans le sens action mais dans le sens où il se passe quelque chose. Une tension morale, un déséquilibre, un conflit entre deux visions. Et pour pas vous mentir ça m'a presque tiré de ma torpeur. Mais en fin de compte je vais rejoindre mon paragraphe précédent, tout cet acte ne sert à la série qu'à se donner bonne conscience, enfiler un vieux costume déchiré d'ambiguïté.

La prétendue ambiguïté à cette série, son déguisement, c'est tellement une arnaque que le jugement moral on va même littéralement l'incarner : l'insupportable personnage de Wunmi Mosaku ne sert qu'à ça, elle est là comme étalon moral, elle flotte au-dessus de la série comme une déesse toute-puissante, elle est votre guide dans l'obscurité. Quand elle tremble des lèvres vous devez trembler des lèvres, quand elle est choquée vous êtes choqué, quand elle prononce la seule occurrence du nigger-word de la série vous devez vous effondrer de terreur.

Hé ! Mais me voilà à juger une œuvre sur le terrain politico-moral. Mais de quoi voulez-vous que je parle d'autre ? La réalisation ne tente rien, on mise tout sur des performances d'acteurs à qui on a dit « Vas-y mec c'est ton heure y a des Golden Globes à moissonner. » On fait tenir sur six saisons une histoire qui aurait très largement pu se contenter de deux heures ou moins, en répétant encore et encore et encore la même scène d'arrestation de pauvres gars qui n'ont rien demandé. Ceux qui ont grandi en Moselle ou en Alsace le savent : quand papa fait de la choucroute on en mange pendant trois semaines et on-n'en-peut-plus, on a des baies de genévrier dans le nez, du chou dans le cul et de la saucisse... où vous voulez. Y a un moment où stop, quoi, merde, on a pigé, passez à autre chose, j'ai pas envie de subir cinq fois le même épisode d'affilée.

Les deux derniers épisodes étaient un supplice, je n'en pouvais plus, il fallait que ça se termine. Et allez que ça part dans les inter-textes sur fond noir façon histoire vraie « La maire sera poursuivie trois ans plus tard j'sais pas quoi », « Machin fera truc », « On saura jamais pourquoi bidule ». Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Je les connais pas ces gens, c'est pas dans la série, alors qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Remarquez, ces textes ont déclenché chez moi un sentiment plutôt agréable, parce qu'en général quand on voit ces choses c'est que c'est bientôt fini.

En conclusion, We own this city ne propose rien. Elle n'a aucun projet esthétique, rien à montrer. Elle se croit maligne, prend le monde de haut, mais ne comprend rien à son matériau et ouvre la bouche pour ne rien dire. Elle tourne en rond sur les mêmes grigris pendant six épisodes parce qu'elle est persuadée d'avoir inventé la roue et nous tire sur le pantalon pour nous montrer sa brillante trouvaille. « Eh regarde ! Regarde ! Regarde ! » Et, tant qu'à être mauvaise, elle n'a même pas la bienséance d'être au moins divertissante. Pour cadre narratif à sa bêtise elle rejoue The Wire, l'universel et le génie en moins, l'agenda politique et la médiocrité en plus. Ni cerveau ni ventre ni couilles, We own this city n'en met pas une au fond.

Scolopendre
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le 13 févr. 2023

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