Dès que l’on me parle, ou que je parle de séries télévisées, j’aime rappeler mon manque certain d’intérêt pour ce format court ; et à tout bout de champ, affirmer que je ne veux pas perdre mon temps sur ces choses-là. C’est donc avec un brin de méfiance et de condescendance bien marquée, que je commence cette critique de Twin Peaks.


Diffusée en 1990, David Lynch n’avait alors réalisé que quatre de ses dix longs-métrages (le tournage de Wild at Heart s’étant déroulé au moment de la diffusion de la série). Notre réalisateur s’attelle alors à un nouveau défi, et de taille en ce début des années 90 : la réalisation d’une série télévisée. Si aujourd’hui nombreux sont les réalisateurs qui jonglent entre cinéma et télévision, voir un réalisateur comme Lynch se livrer à une telle tâche se relevait être une véritable gageure.


Pourtant, c’est sans rappeler que la série Twin Peaks jouit d’une aura bien solide autour d’elle, entre mysticisme et fascination de son univers, et ce dès sa diffusion. La série conduite par David Lynch — et le moins connu David Frost — est donc un (quasi) passage obligé pour qui souhaite découvrir son oeuvre. En enchantant le mythe Twin Peaks, Lynch allait d’ailleurs devenir l’un de ces réalisateurs vedettes auprès d’un plus large public.


L’univers de Twin Peaks rappelle assez naturellement l’environnement dépeint dans Blue Velvet. Déjà, l’oeil de Lynch s’était posé au coeur d’une petite bourgade tranquille des Etats-Unis, perturbée par un élément extérieur, objet étrange et de fantasme. Au centre de cette soudaine confusion, un seul personnage, campé par le non moins génial Kyle McLachlan, lequel incarne à présent l’agent Dale Cooper.


Ici, il s’agit aussi d’un commencement relativement commun : le corps sans vie d’une adolescente de la ville est retrouvé. En somme, un véritable scénario de soap opéra. Pourtant, l’excentrique agent du FBI Dale Cooper est dépêché sur place afin de mener l’enquête, utilisant des méthodes inspirées du bouddhisme tibétain, et déjouant certains noeuds de l’enquête par l’interprétation de ses propres rêves.


Et c’est là que les deux réalisateurs réussissent à distinguer leur série des autres immondices télévisées. Ils réinventent ici ce format, encore trop attaché au genre du drame de chambre, plat et sans consistance. Avec cette série, le spectateur arrive très rapidement à quelque chose de singulier, et de profondément maîtrisé. Cette situation initiale ne vient en réalité que déclencher une suite de rencontres avec de multiples personnages, tous aussi mémorables les uns que les autres, et une succession d’événements qui nous feront découvrir la véritable existence de la jeune femme assassinée, bien moins innocente que ne l’imaginaient les habitants de la ville eux-mêmes.


Lynch et Frost agissent comme deux démiurges, révélant la face obscure de chacun de leurs personnages, captant tout l’esprit de la nature humaine, comme personne n’avait pu faire jusqu’à maintenant à la télévision, mais aussi au cinéma. Les mystères de Twin Peaks n’apparaissent alors comme un unique prétexte à l’explication de la noirceur qui habite chaque être humain, loin de la vague apparence qui illustre chacun d’entre nous en société. L’élément déclencheur de la série, crime sans nul doute commun pour n’importe quel agent dépêché par le FBI, devient ici un véritable cauchemar, où l’obscurité se mêle naturellement au mystique. Il vient découvrir le voile immaculé qui recouvrait jusqu’à lors la ville de Twin Peaks, mais aussi celui qui recouvrait les proches de la jeune victime.


Twin Peaks agit finalement comme une expérience à laquelle on se rattache de manière assez irrationnelle. Capté, voire attrapé par cet univers si singulier, j’ai personnellement découvert une oeuvre qui m’a occupée un moment, non seulement en la visionnant, mais tout autant par la seule force de son univers qui m’a frappée. Cette critique agit ainsi comme une forme de thérapie, afin de tourner la page !


Mais comme toute bonne chose, c’est sans compter les quelques défauts dont souffre la série au milieu de la deuxième et dernière saison, où les sous-intrigues se multiplient dans le seul et unique but de combler le vide de la révélation fantasmée de l’identité du criminel. Cet essoufflement n’est heureusement que de courte durée, et la série prend de nouveau un nouvel élan, où le fantastique, l’humour caractéristique de la série, et la véritable intrigue reprennent doucement leur place.


Maintenant, comme je ne sais de quelle manière je peux terminer cette critique méli-mélo, je vous renvoie expressément à ce magnifique fan-made. Et, tout naturellement, « I will see you again, next year », pour la troisième saison.

Japet
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le 24 avr. 2016

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