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La série repose sur trois éléments fondamentaux.
D'abord la qualité visuelle extraordinaire. Cette série nous fait admirer, au détour de quelques scènes, des joyaux absolus de mise en scène. L'entrée de Pie XIII et de son cortège dans la Chapelle Sixtine, ou le pape agenouillé en pleine prière sous les phares de camions sur une aire d'autoroute, la série est remplie de ces scènes parfois complètement absurdes et qui lui donnent une atmosphère à la fois onirique et poétique d'une incroyable beauté. Rien que pour cette maîtrise visuelle rare, elle mérite d'être vue.
La seconde qualité, c'est celle du casting dans son ensemble, et de l'acteur principal en particulier. Jude Law est éblouissant, il dégage un charisme monstrueux et parvient à être tour-à-tour complètement odieux ou fabuleusement humain. A ses côtés, il y a tout un casting international quatre-étoiles, parmi lequel brillent Silvio Orlando (dont la trogne donne à certaines scènes des allures de comédie italienne des années 70 façon Scola), Javier Camarra (l'acteur inoubliable de Parle avec elle, d'Almodovar) ou le génial James Cromwell (je suis toujours très heureux de le voir, cet acteur habitué aux seconds rôles et trop rare à mon goût).


La qualité principale, bien entendu, c'est ce personnage qui donne son titre à la série. Lemmy Belardo, aka Pie XIII, premier pape étatsunien, plus jeune pape de l'histoire, arrivé au pouvoir un peu comme Mr. Smith arrive au Sénat dans le film de Capra, par des intrigues de palais, avec la certitude d'avoir là un homme bien naïf et aisément manipulable.
Comme Ainsi soient-ils, la série qu'avait consacrée Arte aux prêtres, The Young pope se situe dans le contexte d'une église qui est divisée entre partisans d'une ouverture au monde, quitte à renier une partie de ses valeurs, et partisans d'une ligne plus traditionaliste. Pie XIII va s'enfoncer dans cette voie, avec une sévérité qui va surprendre tout le monde. Homosexualité, avortement, le dogme du Vatican va se durcir si fortement que les fidèles, pris de doute, vont déserter la place Saint-Pierre et les églises en général.
Paradoxalement, alors qu'il adopte pour l’Église des points de vue totalement rétrogrades, Pie XIII joue avec la communication comme une rock star. Il veut maîtriser sa comm' : aucune photo ou image de lui, de rares apparitions toujours dans le noir, à contre-jour ou de dos pour que personne ne puisse le voir... Il veut donner l'image d'un pape quasiment divinisé, pratiquement à l'image du Christ lui-même (il n'hésite pas à le dire lui-même, d'ailleurs).
Mieux encore : il veut façonner l’Église à son image. Lui qui est marqué par l'absence de ses parents veut que les Chrétiens soient marqués par l'absence de leur père spirituel.


Personnage intolérant, violent ? Pas uniquement, et c'est là aussi que ce personnage devient absolument génial. L'écriture du scénario et des dialogues est d'une grande intelligence. Balancé en plein milieu d'un maelström d'intrigues dans le Curie romaine, le jeune Pie XIII que l'on croyait aisément manipulable va se transformer en un animal féroce qui va remettre en place les ambitions démesurées de certains cardinaux. Dans ce petit jeu, l'important est de détenir plus d'informations sur ses ennemis qu'ils n'en détiennent sur nous-mêmes (le pouvoir, c'est avant tout la connaissance). C'est donc à celui qui espionnera le plus les autres, quitte, pour cela, à violer allégrement le secret de la confession.
Mais dans ce petit jeu, Paolo Sorrentino se garde bien de dire qui est bon ou qui est méchant. Le cardinal Secrétaire d’État, grand stratège politique de la Curie, s'humanise au détour d'une scène où on le voit avec un enfant handicapé. Et surtout le pape lui-même (personnage central de la série), si hautain et méprisant, voire violent, devient bon et juste avec les humbles.
« J'aime Dieu parce qu'il est trop douloureux d'aimer les hommes (…). Je ne suis pas un homme, je suis un lâche, comme tous les prêtres. » Le parcours de la série, c'est finalement la quête d'un équilibre. La quête d'un enfant abandonné qui veut retrouver la foi. Foi en Dieu et foi en l'homme, ce qui est la même chose.


Voilà donc une série surprenante, passionnante, esthétiquement superbe, déroutante, drôle, émouvante, et qui multiplie les scènes inoubliables : première homélie face à la foule, discours face aux cardinaux dans la Chapelle Sixtine, discours en Afrique, face à face avec le premier ministre italien... Le résultat est fascinant.

SanFelice
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le 26 oct. 2017

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