The Heike Story
7.5
The Heike Story

Anime (mangas) FOD (2021)

‘’Dans le son de la cloche du couvent de Gion, il y a l'écho du caractère transitoire des choses humaines. La couleur des fleurs des arbres de Çaia avertit que tout ce qui est prospère est aussi inexorablement caduc. Les orgueilleux sont éphémères, comme le songe d'une nuit de printemps. Et les forts, eux aussi, seront enfin emportés, semblables à la poussière dans le vent.’’

Ces mots fameux qui débutent l’Heike Monogatari, résonnent au Japon depuis des siècles. Ce récit historique romancé, issu de la tradition orale, est le plus célèbre dans son genre (Gunki Monogatari), et son message sur le caractère éphémère de chaque chose, ainsi que le goût pour la noblesse de l’échec, se sont ancrés durablement dans la culture populaire de l’archipel. Aussi, l’adaptation de cette pièce majeure de la littérature japonaise en anime constitue un événement notoire.

Cette série de 2021 du studio Science Saru, nous ouvre les portes vers une période troublée du passé nippon (fin du 12e siècle), frappée par des luttes intestines ainsi que d’une effroyable famine, le tout sous le signe de la fin du Dharma. Le pouvoir impérial s’est alors étiolé sous l’emprise de la famille régente des Fujiwara, puis suite à l’émergence d’une nouvelle position d’« Empereur retiré » et de son propre cercle d’influence (Insei), alors que les grandes sectes bouddhiques continuent de trôner dans les montagnes, toujours prêtes à déferler sur la capitale pour faire valoir leurs intérêts. Dans cette configuration complexe du pouvoir, s’attirer la faveur de grands clans guerrier devient de plus en plus essentiel pour la survie de la noblesse. Durant une des nombreuses luttes entre factions, l’un d’entre-eux, le clan des Taira va s’imposer parmi les autres, en annihilant presque totalement le clan Minamoto, aussi dit Genji. Avec l’Heike Monogatari, nous suivons l’apogée, et conséquemment le déclin, des Taira, appelés aussi Heike.

Si l’arrière-plan politique de l’oeuvre s’avère important pour comprendre son histoire, elle ne se limite pas à ce seul aspect ni ne se résume à une chronique d’un conflit militaire entre Taira et Minamoto (appelé guerre de Genpei). L’Heike Monogatari s’observe également à travers une vie de cour aristocratique raffinée, où poésie, danse et musique rythment le quotidien des nombreuses grandes familles privilégiées, et les rituels qu’ils doivent accomplir dans leur environnement fortement codifié par les traditions. Ce milieu sophistiqué et ces événements historiques majeurs donnent lieu à une fresque extrêmement riche ; un drame rempli de pathos et de spiritualité où se côtoient des myriades de figures variées. Elles animent un récit parsemé de grands moments d’éloquences, de duels et de gloire, de piété filiale indéfectible et d’amours déchirés, de mouvances vers l’art et de regards portés vers l’Au-delà.

Ces scènes de grandes splendeurs ont alimenté d’innombrables performances contées des temps passés (heikyoku), et foisonnent aujourd’hui parmi les nombreuses pages des compilations écrites modernes. Pourtant, la transition en japanimation se déroule sous des ambitions malheureusement bien modestes, en se limitant à seulement 11 épisodes malgré l’échelle épique du conte d’origine. De par ce choix, la fresque se retrouve non seulement incomplète mais surtout aux morceaux restants craquelés : beaucoup de moments capitaux passent en un clin d’oeil (la bataille d’Awazu me vient directement en tête), quand ils ne sont pas tout simplement omis, et un bon nombre de personnages de premier rang se retrouvent concassés jusqu’à être présentés en version sommaire d’eux-mêmes. A cela, il faut ajouter une réorientation parfois douteuse de certaines figures et de leurs motivations, alors que le manque cruel de contexte dilue la puissance de nombreux instants (il me semble quasiment impossible d’apprécier le destin de Gio et Hotoke durant l’épisode 2 par exemple). Cela est d’autant plus dommage que cette adaptation démontre à plusieurs reprises sa capacité de créer des acteurs proprement pathétiques (Shigehira ou Shigemori par exemple), et à capturer l’essence du récit quand il s’en donne les moyens (les derniers moments de Koremori ou ceux d’Atsumori dans une moindre mesure).

On retrouve également dans cette adaptation un profond soucis du détail. Celui-ci permet par exemple d’identifier de nombreux figurants, parfois d’une importance historique majeure, qui circulent furtivement dans cette adaptation. Je me suis retrouvé régulièrement avec la sensation étrange de participer à un jeu, dont le but est de pointer du doigt toutes les subtilités intégrées ainsi que de remettre les passages expédiés dans leur plus large contexte. Bien que cela m’a permis d’apprécier toute l’attention portée à l’oeuvre malgré ses limitations, mon ressenti a surtout été teinté de lamentations envers ce qui aurait pu être, surtout quand on connaît l’équipe derrière le projet.

Il est difficile d’ignorer les talents derrière Heike Monogatari. En plus de membres du studio Science Saru, on retrouve beaucoup d’animateurs ayant travaillé chez KyotoAnimation, ainsi que Naoko Yamada (Liz to Aoi Tori, A Silent Voice), une de leur réalisatrice les plus fameuses. Cette combinaison donne lieu à une production impeccable, malgré le management problématique des multiples projets du studio. La générosité en expressions corporelles et faciales, ainsi que la mise en scène exquise et le symbolisme récurrent, fait d’Heike Monogatari une expérience visuelle grisante.

L’action de Yamada, et de Reiko Yoshida en charge de l’écriture, n’est pas à sous-estimer car elle oriente cette adaptation dans une perspective plus synthétique mais aussi plus intime. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre l’apparition de la protagoniste Biwa, nommée ainsi d’après l’instrument à corde traditionnel qui l’accompagne. Biwa est un personnage fictif, éternellement enfant et innocent, qui sert de témoin dans les coulisses de la famille des Heike.

Le rôle de Biwa est multiple et va également servir, au côté de Tokuko (l’impératrice Kenreimon), à mettre davantage l’accent sur la gente féminine et leur condition dans cette société de l’époque Heian. En outre, le choix d’adopter Biwa comme figure à part et intemporelle, permet l’idée assez géniale de créer régulièrement des scènes où Biwa se ‘transforme’ en conteur narrant des passages iconiques de la même manière que les orateurs d’antan (les Biwa hoshi). Une très belle réussite, pleine d’authenticité et d’imageries, magnifiée par l’excellente performance de la seiyuu de Biwa (Aoi Yuuki).

Mais en plus des Biwa Hoshi, l’héroïne Biwa incarne aussi d’une certaine manière la quête spirituelle de Yamada face à une tragédie personnelle, celle des Heike servant de parallèle à la perte traumatisante de ses nombreux collègues de KyoAni lors de l’incendie criminel de leur ‘Studio 1’ en 2019. Ce choix narratif est amené avec une certaine élégance, même si l’arc de Biwa, fort sommaire en lui-même, m’a aussi donné l’impression de détourner du temps précieux à une série qui en manquait déjà cruellement. En outre, si dévier une oeuvre pour enfanter sa propre vision me paraît tout à fait légitime, je trouve fort ironique que le principal message véhiculé, la transmission de la mémoire, nous est partagé tout en prenant énormément de libertés avec le récit principal.

En tant qu’adaptation, Heike Monogatari ne fait pas vraiment justice à la tragédie karmique de l’original, ni à la cruauté sordide de ses aspects les plus sombres. L’anime aurait aussi pu gagner selon moi à adopter une approche plus sobre, sans Kiyomori ou Yoritomo transfigurés en clowns par exemple. L’ambivalence de mon opinion envers cette oeuvre est réelle, et d’autant plus amplifiée lorsqu’il s’agit de la recommander ou non au vu de sa difficulté à l’aborder. Néanmoins, sa beauté, intérieure comme extérieure, a convaincu beaucoup de monde à juste titre. Le statut iconique de l’Heike Monogatari ne persistera sans doute pas sous la forme de japanimation mais cette série reste selon moi, une belle expérience.

Skidda
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le 5 août 2022

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