Bon…
Au sortir d’une saison de cet « Handmaid’s Tale » une chose m’apparait désormais comme évidente : on ne fonctionne clairement pas tous de la même façon.


OK, il y a dans cette série une marque visuelle certaine. Un univers impactant. Quelque-chose qui a de quoi interpeller. Ça, d’accord, je le reconnais.
Mais bon, faisons juste un peu les comptes…
Il y a, au moment de la rédaction de cette critique, trois saisons. Une saison comporte dix épisodes. Un épisode dure environ 50 minutes. Ça veut donc dire qu’en tout, « Handmaid’s Tale » s’étale (pour le moment) sur à peu près 25 heures.
Je ne sais pas vous, mais moi, pour me tenir captif durant 25 heures devant un écran, il faut me donner du biscuit. Mais vraiment beaucoup de biscuit.
Et c’est là que réside ma plus grande incompréhension concernant cette série : parce qu’à part cette marque visuelle certaine, bah y’a pas quand-même pas grand-chose dans ce « Handmaid’s Tale ».
(Et je suis gentil, je ne dis pas rien, mais franchement, je le pense très fort.)


Alors – s’il vous plait – retenez encore un peu vos coups avant de me lyncher.
Je sais que cette série jouit d’une réputation phénoménale – parcourir les critiques de ce site est d’ailleurs un exercice assez saisissant – donc je ne vais pas perdre mon temps à vous convaincre que cette série ne mérite pas l’affection qu’on lui porte. Après tout chacun prend son pied avec ce qu’il veut et si des gens décollent au plafond grâce à cette série, au fond, j’aurais presque envie de dire « tant mieux pour eux ! »
Oui, presque. Parce que dans le cas présent cet engouement inconditionnel à quelque-chose que je trouve d'assez flippant, mais de ça on en reparlera plus tard.


Au fond, il n’y a pas besoin de lire beaucoup de critiques pour comprendre les leviers que cette série actionne pour susciter l’addiction.
Combien de fois parle-t-on d’atmosphère anxiogène, de pression psychologique mais aussi de lecture pertinente quant à l’oppression de la femme voire même carrément d’avertissement contre les dérives conservatrices…
En bref, ça parle régulièrement aux tripes et ça appelle souvent à la leçon.
En d’autres mots, les leviers actionnés ici sont assez clairement identifiables : il s’agit du pathos et de la morale.


Et c’est là qu’arrive le principal problème me concernant : chez moi, le pathos ça va deux minutes. Quant à la morale, c’est carrément nada.
Et vu que « Handmaid’s Tale », dans le fond, ce n’est malheureusement que ça pendant 25 longues heures, chez moi ça a vite trouvé ses limites, quand-bien même cette série peut faire valoir des qualités plastiques que je ne lui renie pas.


D’ailleurs je ne cache pas que j’étais plutôt enthousiaste après le premier épisode.
Comme beaucoup de monde visiblement, j’ai été vite interpellé par l’atmosphère, l’esthétique et la rudesse de cette proposition dystopique. Et j’étais vraiment curieux de voir la suite.
Seulement la suite c’est quoi ?
Comment est développé ici cet univers ?
Dans l’épisode 1, la série avait posé sèchement les bases de son nouvel ordre dystopique et les mécanismes d’oppression qui y étaient liés. C’était certes intéressant mais ça appelait à une dynamique ou un approfondissement.
Seulement voilà, dans l’épisode 2 on nous ressert un peu la même soupe, parfois avec les mêmes scènes. Et puis épisode 3 pareil. Episode 4 encore pareil…
Ad nauseam…


Alors OK, j’exagère un peu.
June va bien tenter parfois quelques trucs de temps en temps pour se sortir de sa galère, mais à chaque fois, elle retourne pratiquement à son point de départ. Et du coup elle se rebouffe encore et encore les mêmes mécaniques d’oppression dans la face et nous, spectateurs, on se recoltine en conséquence une scène qu’on a déjà vue.
Mais sérieusement regardez ces épisodes et prenez un stylo pour lister factuellement ce qui s’y passe. Beaucoup de scènes font doublon et l’intrigue ne cesse de boucler sur elle-même.
June pense pouvoir s’échapper, mais en fait non.
June cherche à obtenir un peu d’affection de la part de son geôlier mais en fait non.
June espère du coup obtenir de l’empathie de la part de sa geôlière, mais en fait toujours non.
Les choses évoluent extrêmement lentement, comme toute « série tunnel » qui a très peu de contenu à fournir et qui se décide en conséquence de le diluer autant qu’elle peut. Le problème étant que là, en termes de dilution, on dépasse clairement le niveau de l’oscillococcinum.


Alors d’accord, je peux encore entendre les arguments qui consistent à dire que cette stagnation et cette répétitivité de l’intrigue se font au service de cette fameuse atmosphère oppressive. OK, c’est vrai que comme ça on ressent davantage l’effet d’accumulation et d’usure que subissent June et ses pauvres camarades soumises… Mais au point que ça s’étale sur 25 heures ? Franchement ? Vous êtes sûrs ?


A un moment donné – je suis désolé – mais poser un constat et étaler du pathos, comme je le disais plus tôt, ça va deux minutes.
Moi j’attends aussi d’une œuvre qu’elle soit capable de me faire évoluer à travers son univers, et pour ça j’ai besoin d’une dynamique. Une dynamique en termes de sensation, une dynamique en termes d’approche ou bien une dynamique en termes de réflexion.
Parce que sinon, au bout d’un moment, ça devient clairement de la complaisance. Qui plus est de la complaisance ennuyeuse à souhait.
Moi en regardant cette série (enfin devrais-je dire sa première saison, parce que c’est là que j’ai personnellement arrêté les frais) j’ai vraiment eu l’impression de me refaire l’intégrale de « Princesse Sarah », les couleurs chatoyantes en moins, mais l’absurdité en plus.


Parce que bon, quand on y regarde bien, cet univers dystopique est quand-même assez absurde. Il n’a aucune logique.
Car, quand on y réfléchit bien, le propre d’un système oppressif c’est qu’il est mis en place contre une catégorie de personnes AU BENEFICE d’une autre catégorie de personnes.
Mais là, dans « Handmaid’s Tale », il est où le bénéfice qu’en tirent les soit-disant privilégiés ?
Qui a intérêt à maintenir ce système en place à part quelques sadiques monomaniaques ?
Même les propriétaires de June ont l’air aussi opprimés qu’elle ! Il n’y a pas une seule trace de plaisir ou de jouissance dans leur quotidien ! Il faut attendre l’épisode 8 de la saison 1 pour commencer à voir une parenthèse de stupre bien trop sage et congrue pour qu’elle justifie un tel système !


En fait cette série consomme un temps fou pour au final ne jamais rien expliquer. Ne jamais décortiquer. Ne jamais rien penser.
Beaucoup de flash-backs juste pour dire « Bon bah allez ! Maintenant c’est comme ça ! »
Des scènes assez longues qui, d’ailleurs, ne cessent de s’attarder sur – toujours et encore – les mêmes choses : les souffrances, la peur, l’angoisse des personnages.
Le comment du pourquoi passe systématiquement à la trappe.
Ce n’est clairement pas avec « Handmaid’s Tale » qu’on va affiner notre regard sur les mécaniques totalitaires.
Non. On aura que du pathos, rien que le pathos…


Et moi j’avoue que ça me scie un peu qu’on puisse dire que cette série rentre dans le cadre des « dystopies intellectuelles » (Ann O’Nyme) qu’elle est « un avertissement contre les dérives conservatrices » (Kiwiwayne), voire même qu’elle offre « un commentaire pertinent sur le destin de la société humaine et de ses systèmes politiques, un avertissement lucide quant au Mal profondément tapi en nous » (Eric Pokespagne).
Mais franchement : à quel moment cette série nous pousse-t-elle à un raisonnement intellectuel ? A une analyse ? A un enrichissement de notre perception du réel ?
Et d’ailleurs, puisque beaucoup parlent « d’avertissement », moi j’ai vraiment envie de savoir : de quel avertissement on parle au juste ?
« Attention un jour des mecs qui crient des trucs pas gentils dans la rue vont prendre le pouvoir et vont décider de tirer sur tout le monde à la kalash et instaurer un monde trop vilain où tout le monde sera pas heureux, même eux ! »
Franchement moi c’est le seul avertissement que j’ai trouvé dans cette série.
S’il y en a un autre que j’ai loupé parce que je somnolais je suis preneur ! Les commentaires sont là pour ça !
En attendant, ça vole vraiment pas plus haut que du cours d’EMC niveau maternelle là !


Mais bon…
Visiblement ça suffit à pas mal de monde. Alors où serait le problème ?
Pas de réflexion. Pas d’évolution. Et surtout pas de propos mis-à-part un « surtout ne votez pas pour les méchants. »
(Ah si ! Comment oublier aussi cette phrase-culte que la série nous pose comme une révélation ultime : « Il n’y a pas que la reproduction dans la vie. Il y a aussi l’amour ! » Celle-ci je crois que je ne m’en remettrai jamais !)
…Mais bon. Visiblement ça passe crème auprès de beaucoup d’entre nous.


Or, moi, ce que je trouve dingue dans toute cette histoire, c’est que les gens qui glorifient cette « Handmaid’s Tale » n’ont visiblement pas l’air de saisir ce qui est à l’œuvre quand ils vantent les mérites émancipateurs d’une série qui repose essentiellement sur du pathos et de la morale.
Parce que – petite leçon pour tous ceux qui considèrent que cette série est un avertissement lucide sur le retour potentiel d’une société totalitaire – il me semble quand même bon de rappeler que pour installer un système totalitaire au sein d’une société on passe toujours d’abord par du pathos et de la morale.
D’abord l’indignation sans la réflexion, permise par l’entretien d’un discours et d’une atmosphère anxiogènes.
Puis la désignation d’un ennemi présenté sans nuance – qu’on ne cherchera surtout pas à comprendre ni à expliquer – mais qu’on présentera malgré tout comme devant être combattu car défendant des positions moralement inacceptables et indiscutables. (En même temps n’est-ce pas le propre d’une morale que d’être indiscutable ?)
Je trouve d’ailleurs très révélateur que certains supporteurs de la série n’hésitent pas à parler de « Mal » quand il s’agit d’évoquer le système que cette série nous dépeint.
Oui, un « Mal » avec une majuscule.
Mais en même temps c’est ce à quoi cette « Handmaid’s Tale » nous réduit : à ce triste niveau de subtilité là.


Alors soit, qu’on se réjouisse de cette série si vraiment on se satisfait de cet état-là.
Un état dans lequel on ne pense pas mais où on s’indigne.
Un état dans lequel on se convainc d’être parmi les justes simplement parce qu’on est du côté de ceux qui souffrent.
Un état dans lequel on pense avoir été conscientisé alors qu’en fait on a juste été conditionné.
Mais bon, à quoi bon critiquer les méthodes et les ressorts d’un discours ou d’une œuvre si ceux-ci émanent du camp du Bien et qu’ils défendent la noble cause, hein ?


En tout cas, chapeau bas à toi, Bruce Miller.
Grâce à toi je viens d’apprendre qu’il suffisait encore aujourd’hui seulement d’un peu de moraline pour faire gober n’importe quoi aux gens tout en obtenant une quasi-unanimité.
Personnellement, voilà qui ne me rassure clairement pas sur ce que sera la société de demain…

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le 28 mai 2020

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