C’est indéniable. « The Deuce » est une série qui pue le foutre. Encrée dans une grosse pomme noyée dans les seventies, cette nouvelle production de David Simon frappe de plein fouet notre rétine, quelque part entre les films de Martin Scorsese et « The Wire ». Et quel bonheur, à l’avance, de retrouver cette dream-team d’HBO aux manettes d’une œuvre qui, en une saison, parvient à happer un tel brio ses spectateurs, simplement en filmant des macs discuter chez le barbier. Ce que l’on remarque, d’entrée de jeu, c’est l’ambiance des années 1970, qui dès le départ ne cesse d’imprégner le récit, lui donnant une énergie et une vitalité digne de l’histoire captivante qui nous est narrée. « The Deuce » est une histoire de tout et de rien, trouvant de nombreux caractère universel, mais anodin. Bref, c’est une série en Time New Roman, mais bénéficiant d’une écriture salvatrice, les mêmes que celles qui ont donné à la série TV ses plus grandes heures.
En l’an 2000, « The Corner » donnait déjà un avant gout de ce dont était capable David Simon, un talent qui s’est confirmé dans « The Wire », qui, en cinq saison, déambule dans les quartiers de Baltimore en se donnant des allures de fresque urbaine et d’exploration intime. « The Deuce » s’exploite de la même façon, caméra au poing, dans une réalité passée pour filmer une ville enveloppée par les néons, la drogue et la contre-culture, tout en explorant ses personnages avec une densité et une intensité rare. En huit épisodes, la série embrasse déjà un grand nombre d’enjeux tout en se tournant comme une comédie humaine, un ballet de protagonistes d’une cohérence méticuleuse et d’une sophistication visuelle purement sidérante. Certains épisodes sont de véritables claques esthétiques. Chaque plan profite de chaque couleur, de toute la profondeur disponible, tout en mettant en exergue la noirceur absolue, la violence de cet univers impitoyable.
Flics, prostituées, macs, tous nous sont montrés avec leur faille, leur humanité. « The Deuce », vraisemblablement issue d’un important travail de recherche, incarne déjà une ampleur quasi romanesque, et politique. Et Simon va directement s’intéresser au mythe de cette époque, en filmant les perdant, les condamnés, ceux qui sont en plein milieu de la contre-culture sans prétendre eux-mêmes à une quelconque forme de culture. Ce qui fait la force de la série, c’est justement cette sobriété évidente avec laquelle elle cadre ce New-York gangrené, mais paradoxalement, presque légendaire. Nullement sur-travaillée, « The Deuce », dans l’humour, le potache, ou la violence, parvient à rester fixe, simple, sans sombrer dans la facilité. Pas de cliffhanger, aucune artificialité, jamais un seul décalage par rapport à l’universalité de son propos et sa manière de faire face à tous les tabous américains.
Ainsi, « The Deuce » se dévoile avec cette première saison, à laquelle succèdera bientôt une seconde. Mais si la série nous donne tous ces frissons, c’est bien sûr en nous laissant subtilement imaginer le monument à venir. Déjà qu’il aura suffit d’une saison ne serai-ce que pour s’attacher à une trentaine de personnages, notamment ce James Franco doublé et indifférent, presque nonchalant, et cette Maggie Gyllenhaal à fond dans son rôle d’actrice prono (c’est le moins que l’on puisse dire).
Genèse de la pornographie, balade nocturne dans une ville shootée, constat social, « The Deuce » nous promène, avec une justesse miraculeuse, dans les ténèbres urbains et les vies désenchantées dans ses personnages et de ses filles aux allumettes.
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