Plusieurs jours ont été nécessaires pour absorber la fin de cette série, tour à tour psychologique, fantomatique et banale. C'est dans ce fragile équilibre entre le réel, le souvenir et l'iréel que cette histoire peut prendre aux tripes.
Car le pitch en lui même est vu et revu. Camille (Amy Adams), journaliste, vit dans la grande ville du coin. Elle est envoyée par son journal enquêter sur des crimes à Wind Gap, la ville de son enfance. Elle doit affronter ses démons, notamment sa mère, Adora (Patricia Clarkson) en plus des effroyables crimes. Le tout dans l'Amérique profonde (et donc un peu sudiste, un peu raciste, un peu anti féministe, un peu étouffante etc.).
Ce qui est particulièrement réussi ici, c'est à quel point on entre rapidement et facilement dans la peau d'un personnage qui est, dès le premier épisode, présenté comme particulièrement "fagile" psychologiquement. On doit donc naviguer entre tous ses flashbacks avec sa subjectivité. Sans savoir si elle est crédible, ni pourquoi certaines images reviennent la hanter.
Car en face, il y a sa mère, qui déteste voir sa fille enquêter sur les crimes. Et qui semble détester sa fille, tout court. La froideur d'Adora, pourtant affectueuse avec les autres soeurs, permet de douter. Camille cache quelque chose. Camille est haissable. Et c'est là que Sharp Objects est le plus réussi. Car nous, les spectateurs, nous arrivons à comprendre le niveau de "self hate" que ressent Camille. On doute avec elle de son droit à se considérer comme une personne qui vaut la peine d'être aimée.
Comme si chaque découverte lui coûtait de revivre un événement traumatique, Camille découvre les clefs des crimes en même temps qu'elle élucide les mystères de son enfance (cette mécanique est très clairement explicitée dans l'épisode où elle revisite les scènes de crime avec un enquêteur). Mais tous les flashbacks ne sont pas des souvenirs. Certains sont des suppositions, des peurs, des intuitions, des sensations, ce qui explique que l'on frôle l'horreur (et les fantômes) à plusieurs reprises.
Pourtant, des flashbacks, il y en a quelques uns de trop. C'en devient presque systématique. Et comme l'intrigue se focalise sur le ressenti de Camille, on met (trop) de temps à découvrir un autre personnage indispensable, la petite soeur Amma (Eliza Scanien). On sent bien que le réalisateur a peur de l'inclure trop vite dans l'histoire, ainsi elle arrive bien tard pour renforcer le trio féminin qu'elles forment avec leur mère. Pourtant ce trio, ce tourbillon de méchanceté et de haine, d'amour et d'aveuglement, est justement ce que l'on retient de la série.
Lorsque le crime est enfin élucidé, le dernier du dernier twist ne répond pas à la question fondamentale qui pourrait enfoncer le clou de la terreur : pourquoi avoir tué ? À vouloir tant nous surprendre, la complexité psychologique de la personne qui a commis les crimes est éludée. Or, tout comme dans Gone Girl, c'est justement une question qui est si peu traitée, qu'il y avait là une superbe opportunité de créer un petit quelque chose.
Bref : un traitement efficace, une tension bien maitrisé, des personnages crédibles, un jeu époustouflant, des femmes méchantes et quelques flashbacks de trop.