C’est un beau roman, c’est une belle histoire. C’est une romance d’aujourd’hui. Normal People est une série irlandaise passée bien trop inaperçue chez le public français. La faute à une diffusion imparfaite et à un manque de flair de la part des leaders du marché du streaming. La mini-série (12 épisodes de 30 minutes) débarque finalement sur MyCanal quelques semaines après sa sortie. Normal People est en fait l’adaptation du véritable best-seller éponyme de l’écrivaine Sally Rooney. Dans ce roman, la jeune femme s’étend avec précision sur une histoire d’amour pas comme les autres. Le récit s’attarde sur deux étudiants partageant la même brillante réussite scolaire. Si leur rapport au monde est très différent pour l’un et pour l’autre, ils ont un autre point commun : leur marginalité. L’un, Connell, est un garçon populaire, dont on est loin de deviner l'hypersensibilité. Leader de l’équipe de football universitaire, son charme inéluctable lui permet de séduire sans difficulté. L'autre, Marianne, une jeune femme introvertie qui maîtrise parfaitement l’art de la rhétorique. Malmenée chez elle par une famille conservatrice qui lui reproche son caractère, Marianne vit dans un monde dénué de repère. À la faculté, elle est une fois encore chahutée pour sa différence. Marianne et Connell, que tout oppose, vont pourtant finir par se trouver. Heureux destin, loi de l’attractivité, concours de circonstance ? Appelez ça comme vous le voulez. Quand leurs lèvres échangent un premier contact, c’est tout un monde qui s’écroule. Toute une épopée qui commence.


Intelligemment réalisée par le duo de cinéaste Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald, l’adaptation est pleinement consciente de son enjeu sentimental. Souffle alors un vent de nouveauté quant à la représentation audiovisuelle de l’amour. On ne peut qu’être enthousiaste au sujet de Normal People. La série incarne les codes d’une génération lassée de devoir suivre le schéma traditionnel de la relation amoureuse. À sa manière, Normal People réinvente l’amour. Fait agréable : bien que la relation se déroule au présent, la technologie est presque totalement absente de la narration. Loin du virtuel, on ressent alors bien plus les émotions que la série véhicule. On peut alors la qualifier de sensorielle, tant chaque geste, chaque bruit, chaque dialogue est important. Normal People arrête alors le temps d’un monde qui ne sait désormais qu’aller trop vite, pour tout. En témoigne son traitement du consentement et de la contraception. À travers une séquence explicite autour de la pose du préservatif, la notion de contraception est importante dans la série. Celle du consentement ou du ressenti, elle, est non négociable. Alors, on se retrouve à suivre des scènes de sexe sans coupure, avant, pendant et après. Chaque mot prend alors un peu plus de sens, et les dialogues sont d’une pureté sans nom. Fait rare : la série s’autorise à prendre son temps. Son rythme presque contemplatif lui confère une grande douceur tout en apportant beaucoup de poids à chacune des péripéties. La singularité de cette œuvre pose alors une question intéressante : quand prendrons-nous à nouveau le temps ?


Divisé en plusieurs actes (la série se passe sur plusieurs années), Normal People est une œuvre dramatique, dont on ne sort pas indemne. Elle appelle au romantisme tout en détruisant l’union. Fascinante, elle trouve un équilibre entre les visions manichéistes que l’on peut se faire d’une histoire d’amour. Elle déconstruit l’homme, déconstruit la femme, déconstruit l’humain. Happés par notre écran, on se retrouve mis à nu, nous aussi. Rien n’est dissimulé bien longtemps, et tout finit par s’exprimer. Comme dans le roman, la série insiste sur l’importance de la communication, à l’heure ou chacun intériorise ses faiblesses. Manque de confiance, anxiété, dépression, paraître. Dès lors que la série aborde un thème, elle le fait frontalement, sans jamais le condamner. Cette docilité permet dans un premier temps de s’attacher aux personnages, puis de s’identifier à eux. Normal People filme une jeunesse en plein doute, une génération qui ne sait pas ce qui lui réserve. Pour affirmer sa position, elle insiste sur le caractère précieux de chacun de nos faits et gestes, que l’on oublie trop souvent de regarder. Chaque baiser, chaque caresse, chaque sourire est alors amplifié. L’art d’être amoureux(se) du présent.


Normal People ne serait rien sans ses interprètes irréprochables, dont on peut facilement prédire le succès futur. Paul Mescal et Daisy Edgar-Jones (ayant respectivement 25 et 23 ans) sont d’une justesse fabuleuse, leur complémentarité n’ayant d’égale que leur implication. Si la série se concentre majoritairement sur ses rôles principaux, on notera tout de même la belle performance de Sarah Greene. Seul petit bémol selon moi : la prestation trop en surface offerte par les rares autres acteurs importants de ce film (le personnage du frère en tête). Le manque de remise en contexte lors de certaines scènes ainsi que la non-nécessité de quelques ellipses viennent aussi parfois affaiblir la trame principale. Ces petites incohérences sont bien trop secondaires pour venir affecter la copie quasi-parfaite rendue par la série. L’adaptation est selon moi encore plus intéressante que le livre, lui-même percutant à bien des aspects. Enfin, comment parler de cette série sans évoquer son magnifique aspect visuel ? De plans ingénieux quant au traitement de l'espace, à sa capacité à magnifier un décor inerte, là aussi, Normal People se distingue. La beauté de ses scènes d’érotisme est sans équivoque, mais rien ne peut mieux traduire cette œuvre que sa jolie bande originale, signée Stephen Rennicks.


C’est durant une période de grand chagrin que j’ai découvert Normal People. La série a progressivement réussi à faire s’effondrer mon fort intérieur. Dans un monde où l’homme a toujours du mal à accepter pleinement sa vulnérabilité, cette série a conforté la manière dont j’ai toujours cherché à assumer ma sensibilité, et ce même publiquement.
N’ayons pas peur de crier au chef-d'œuvre lorsqu’on parle de Normal People. Elle n’est qu’une preuve de plus que l’art est indispensable pour changer les consciences.

Baptiste-Gouin
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le 16 nov. 2021

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Baptiste Gouin

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