
Tout le monde s'est déjà posé la question un jour ou un autre. Quel élément, de l’œuf ou de la poule, est apparu le premier ? L'expérience de pensée semble vertigineuse si elle n'était pas volontairement un peu artificielle. Mais au-delà de son aspect trivial, la même question posée à la criminalité, et plus généralement au mal, devient bien plus intéressante. Mindhunter ne se focalise évidemment pas sur la criminologie classique, bien sur plus sérieuse, mais bien à un type criminologique rare mais non moins fascinant et classique : le tueur organisé, ou serial killer. Contrairement aux autres types de criminalité, la motivation du tueur en série est insaisissable, d'autant plus qu'elle n'est pas assimilable ni à la folie ni même à la déviance. Ses raisons sont impénétrables, presque brutes et animales, toutes faites de pulsion, de symbolisme, de représentation et de concepts fantasmagoriques. De la même façon, ils présentent des caractéristiques qui semblent innées, mais qui prennent pourtant leur sens dans un système de valeur déterminé. La question est simple : le Mal existe-t-il par essence dans l'humanité ou est ce que c'est la société qui le crée ? Est ce du Hobbes ou du Rousseau ? La société crée-t-elle les monstres ou ne se contente-t-elle que de les réprimer plus ou moins efficacement ? Pire encore, la répression crée-t-elle les tueurs organisés ? Les philosophes savent déjà que les tueurs organisés sont plus fréquents dans les sociétés protestantes, où l'individu est isolé dans la société par rapport à la famille, le clergé et l'Etat. Cependant, il est indéniable que les tueurs en série présentent quelque chose en eux qui contredisent tout de même une lecture ontologiquement social. Mindhunter raconte l'histoire d'une équipe du FBI financée pour mettre au point un prototype afin de cerner, de prévoir et de résoudre quelques affaires criminelles.
La série raconte d'abord la naissance d'une forme de la criminologie moderne appelée le profilage, qui se situe entre la sociologie, la pratique policière et les sciences criminelles en général. Le problème principal de cette science est qu'elle ne peut être qu'inexacte. La série en raconte fort justement la naissance, les erreurs et les limites. Mindhunter pointe d'abord les préjugés des institutions américaines qui ne portent sur le criminel qu'un jugement moral, ne se contentant que de condamner celui qui fait mal, qui est essentiellement mauvais, qui doit être exterminé : le protestantisme calviniste dans toute sa splendeur. Les sciences comportementales semblent se sortir de cet écueil en épousant le système de valeurs d'un criminel, en l'interrogeant, en se plongeant dans son univers. Il s'agit d'abord d'en disséquer les processus psychiques, mais aussi d'en saisir le mécanisme représentatif : le pédophile n'est pas forcément attiré par les enfants, mais séduit par ce qu'il est à travers les yeux de l'enfant. Mindhunter pointe aussi le problème de la méthode qui doit être scientifique, et pas seulement une forme de dialogue improvisé, qui semble fausser les résultats de l'enquête. Plus encore, le danger fondamental du profilage est d'aboutir à des mesures préventives profondément contraires aux libertés publiques, et la série le montre très bien avec ce directeur qui chatouillait les pieds des enfants, dont la vie a été détruite sur la base de présomptions. Le danger est la recrudescence de la pensée d'Enrico Ferri, qui souhaitait enfermer par avance les prototypes criminels, repérés dès l'enfance. C'est assez intéressant et bien mis en évidence, d'autant plus que la série montre également les embûches déposés sur le passage de ces enquêteurs d'un nouveau genre.
Le style pose pourtant problème. Evidemment, il est tout à fait celui de David Fincher qui ne raconte jamais d'histoires policières, mais qui se focalise sur ses acteurs et ses détails presque insignifiants. La trame policière passe du premier au second, voire troisième plan. La manière de filmer est faite d'une manière si impersonnelle que les visages des personnages peinent à s'imprimer sur la rétine. Comme tout style bien affirmé, ce n'est pas qu'il est laid, mais il appartient à chacun d'adhérer ou non sans que l'on puisse réellement dire s'il est bon ou mauvais. Quelque chose de très froid se dégage de l'écran et n'a pas transpercé la barrière qui fait passer le spectateur de l'intérêt à la passion. Il faut reconnaître certaines qualités réelles au traitement des personnages : la série prend son temps, elle les installe, les dénude peu à peu et chacun se dessine tranquillement sans céder au sensationnalisme et au spectacle. Mindhunter est tout sauf du spectacle : c'est une série d'éducation et de personnages. Pourtant, cela ne fonctionne pas et ne parvient pas à crever l'écran, ne serait-ce que par son esthétique un peu terne et un rythme un peu plat. Il paraît que la saison 1 est une saison d'installation. Affaire à suivre ?