Fieffé galopin

Pourquoi j'aime cette série toute simple, toute modeste, à priori 10 petites minutes de sketch basé sur le récit d'un livre ?
D'abord, j'ai un affect un peu particulier pour Alexis Breunt, alias LinksTheSun. Pas seulement parce que c'est un Normand qui s'est tourné vers le côté lumineux de la Force (gloire à l'influence Finistérienne, imparable !). Il fait parti de la première génération de Youtubeurs, qui est donc la mienne, et à l'époque il était un des plus influents ! Mais aujourd'hui, à l'instar de Mathieu Sommet, il fait parti des plus relégués, contrairement à un Joueur du Grenier ou Cyprien par exemple ; je ne dis pas que ça a un lien avec la qualité de la chaine, j'ai d'ailleurs fait exprès de dire un exemple que j'aime et un que j'aime pas, ça tient à beaucoup plus de petites choses, et au fait que ça s'accouple avec la mort lente et programmée de Youtube. Mais ce qui me plait avec LinksTheSun, c'est qu'il s'est lancé dans son propre délire, en faisant définitivement fi des "tendances", et qu'il se consacre surtout...à des critiques de livres, à la cool sur son fauteuil. Inutile de dire que la littérature n'est pas le type d'appat le plus aguicheur pour le spectateur moyen. Mais il s'en fout, il fais ce qu'il aime, il envisage même de faire des choses à coté, et j'aime vraiment cette démarche. Il n'y a pas de rétro-pédalage chez lui, pas de volonté de retrouver les premières places non plus : il reste fidèle à ce qui l'anime, et il est dans l'évolution permanente ! Il se trouve que j'aime beaucoup lire aussi, alors forcément, on se retrouve.
"Le pire éditeur au monde" c'est quand même lui qui se parle à lui-même pour raconter un livre, et en faire des blagues. Le principe, c'est donner envie de découvrir un ouvrage par l'humour, tout seul. Et à partir de ce simple contre-champ, insinuer des leitmotivs propres à toute série (la carotte, les répliques "je vous en prie asseyez-vous" et "foutez le camp de mon bureau"), et en même temps prompts à des progressions (l'appel de fin, l'ironie à propos des anachronismes et incohérences inévitables à cause des choix des livres). C'est monstrueusement dur de ne pas produire des vidéos chiantes à partir d'un postulat aussi minimaliste, et relativement ambitieux dans son fond ! D'autant plus que le bougre a un humour assez spécial, qui ne plaira pas à tout le monde, et qui peut effectivement donner des gags parfois cringes. Mais, pour ma part, ça marche. Si j'ai 10 minutes à tuer et que je veux sourire pendant ce temps-là, je revois un épisode. Je les revisionne régullièrement. A l'heure où j'écris, il ne restera qu'un vendredi pour diffuser un épisode, et ça m'attriste un brin : ça m'étonnerait qu'il y ait une saison 2...
J'aime, parce que, grand amoureux de littérature que je suis, j'aime cette démarche pour la mettre en valeur auprès d'un public plus jeune, l'invitant à se plonger dans les ouvrages, tantôt déjà connus par les adaptations ultra-célèbres ("Harry Potter"), tantôt faisant vraiment confiance en la curiosité de son spectateur ("Princess Bride"). Et c'est vrai que ça donne envie ! Parce qu'il raconte très bien l'histoire du livre, sans non plus en dire tous les détails et ce qui en fait son sel, avec une diction prégnante. L'interraction de ce "racontage" avec les réactions de l'éditeur est savoureuse par son décalage ; ce dernier est surtout un grand gamin, qui semble beaucoup plus malheureux qu'il en a l'air, et n'est pas du tout juste un imbécile (l'épisode de "Ready Player One", un des meilleurs, le prouve, et permet au Youtubeur de disséminer de façon vraiment bien pensée ses propres critiques du livre). Qu'on rit ou pas, la série est globalement très bien écrite : le rythme des dialogues est excellent, on pourra même noter des pauses pour faire durer des petits silences, prouvant que la structure narrative est pensée comme une partition ; la musique d'ailleurs joue son importance, très discrète mais importante dans l'épisode et celle du générique partant de plus en plus en cacahouète ; certains détails de mise en scène qui changent pour nourrir un peu plus le concept minimaliste de base, comme la fenêtre qui s'adapte au livre en question...
Maintenant, l'humour. Si on ne connait pas ce Youtubeur, on ne sait pas encore que son humour repose beaucoup sur l'intonation de phrases, et surtout de surjeu pour exprimer une pensée qui lui était jusqu'à alors privée (oui c'est ultra précis). Et parfois, ça fait crisper. Je pense aussi qu'il a eu quelques mauvaises idées de gags : durant l'épisode "Coraline", il tombe dans le piège du 4ème mur non maitrisé, en interpellant la fameuse personne qu'il appelle à chaque fin de rendez-vous : "non les gens ne se demandent pas qui tu es, ils savent que tu es juste un prétexte pour que je résume le livre en me trompant" (je n'exagère rien). Puis il enchaine comme si de rien n'était avec le dit résumé. Faire ça, c'est l'équivalent de demander à un technicien, durant une pièce de théâtre, de baisser le projo sur son visage en pleine représentation, en lui expliquant bien pourquoi il faut qu'il fasse ça, et qu'il enchaine avec un monologue douloureux : le spectateur est sorti. D'autres cassages du 4ème mur dérangent, comme le cadreur (qui hurle "REGARDEZ PAS LA CAMERAAAAA", en exemple d'humour surjoué). Mais, quand je parlais d'évolution du bonhomme, je parlais également d'humour. Même s'il garde cette vieille technique, il a aussi développé en parralèle des gags beaucoup plus légers, des phrases fines qui reposent autant sur la compréhension du personnage que les mots eux-mêmes, tout en n'étant pas trop sages non plus loin s'en faut ! Après, l'humour est subjectif ; moi la série m'a fait rire, globalement.
A la Taverne de la tendresse j'essaie de me rendre entre deux tempêtes ; lors de l'amarrage, alors que le voyage mouille dans son rêve d'errance, il est toujours agréable de se plonger quelques minutes dans la curiosité culturelle, les sourires arrachés, les fruits qui nous sont plus ou moins destinés, préservés avec courage depuis un certain appartement Brestois...