Le Monde de demain
7.6
Le Monde de demain

Série Arte (2022)

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C’est une consécration à double tranchant : en gagnant le Grand Prix du Festival Séries Mania au printemps dernier, Le monde de demain a été reconnue pour sa qualité indéniable, mais a aussi hérité dans les médias de l’étiquette réductrice de “série sur NTM”. Or, si Le monde de demain retrace en effet les débuts du duo de rap formé par Kool Shen et Joey Starr (et emprunte son titre à un des premiers morceaux des deux larrons) ce n’est certainement pas “que” une série sur NTM. C’est bien plus que ça.


Lors des premières minutes, on croit d’abord s’être trompé de série. Oublié, le béton anonyme des cités du 93 d'où sont issus Kool Shen et Joey Starr. Nous voici à San Francisco, en compagnie d’un jeune français ahuri qui se fraye difficilement un chemin au milieu d’une foule célébrant les quatre piliers du mouvement hip-hop (rap, breakdance, DJing et graffiti). Ce grand dadais, incarné avec une fébrilité touchante par Andranic Manet, n’est autre que DJ Dee-Nasty, pionnier du hip-hop en France, et troisième “héros” de la série.


En effet, la série va se défaire des pièges du “biopic” classique en élargissant sa focale. Des premiers mouvements de breakdance en bas du bloc au premier studio, elle dépeint, certes, la lente ascension de Didier et Bruno, devenus Kool Shen et Joey Starr. Mais le cœur du sujet c’est bien la naissance du mouvement hip-hop en France, avec son lot de stars mais aussi de losers magnifiques (Dee-Nasty) et de figures depuis tombées dans l’oubli.


C’est tout un monde perdu, celui des années 1980, que la série recréé sous nos yeux : les techniques de vol chez les disquaires, l’arrivée de la drogue dans les cités, les fêtes improvisées sur les terrains vagues de l’est parisien, la formation d’un “problème des banlieues” dans une France qui a du mal à regarder sa jeunesse métissée dans les yeux…


Cependant, si la série ne s’écroule pas sous le poids de son ambition ou ne s’égare pas dans le didactisme, c’est grâce à un scénario qui revient toujours au plus près des émotions des personnages. La série creuse les relations entre les différents protagonistes, interroge les blessures intimes de chacun et chacune, parfois avec une certaine maladresse quand il s’agit des personnages féminins. Pour autant, l'œuvre ne sombre pas dans le mélo, avec beaucoup de passages très drôles : la majorité des scènes avec Dee-Nasty, sans doute le DJ le moins chanceux au monde, sont à mourir de rire. Les mésaventures de Joey Starr pendant son service militaire valent à elles seules le visionnage.


On ne peut d’ailleurs que louer le travail et l’implication des acteurs, Anthony Bajon et son mulet d’anthologie en tête. Il apporte, comme d’habitude, une grande sensibilité et beaucoup de conviction à un rôle qui aurait facilement pu apparaître comme barbant avec un acteur moins capable. Le scénario laisse il est vrai beaucoup de place à KoolShen, la tête pensante du groupe, doué en tout mais doutant en permanence. Face à lui, le nouveau venu Marvin Boomer apporte son expérience de danseur et une gouaille impressionnante au rôle de Joey Starr, surtout dans les épisodes finaux. Si l’envie viscérale de lui mettre des baffes que j’ai ressentie tout au long du visionnage est un indicateur valable de son talent d’acteur, alors il est destiné à faire de grandes choses. Les seconds rôles sont également très convaincants. La “posse” (bande) qui entoure Bruno et Didier est pleine de personnages très vivants et bien incarnés. Le scénario insiste également sur la place des femmes dans la naissance du mouvement hip-hop en France, comme grapheuses (avec le personnage de Lady V), employées de maisons de disques, organisatrices d'événements… Ce qui offre des rôles féminins de qualité à une série qui pourrait sentir un peu trop la testostérone.


En seulement six épisodes, la série parvient à maintenir l’équilibre entre comique et tragique, personnel et universel, entre fresque collective (la création du mouvement hip hop en France) et épopée individuelle (le parcours des personnages principaux, dont les motivations vont rapidement diverger). Avec une subtilité rare pour une série française, elle recrée pour quelques heures un monde perdu, et rend hommage à toutes celles et ceux qui se sont, un jour, sentis appartenir à quelque chose qui les dépassait, à un mouvement en train de naître.


🎵 Cause that's my people / I make music for my people 🎵


cielombre
8
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le 10 oct. 2022

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