Qu'est-ce qui peut bien mener quelqu'un, avec la myriade d'excellents TV Shows dont on dispose en 2015, à chercher son plaisir dans une série fantastique/SF de 1959 ? La plupart d'entre vous qui a déjà pênétré Twilight Zone l'a fait soit parce qu'elle est tout simplement assez vieille pour l'avoir croisée, soit grâce à Senscritique. Personnellement, c'est Garfield qui a implanté ce désir dans mon esprit, quand j'étais déjà tout petit. La seule série animée potable (voire sympa !) qui met Garfield à l'honneur, je l'avais en cassettes, et l'une de ces dernières proposait un excellent épisode qui parodiait la Quatrième Dimension : "la Zone Lasagne". Le twist final était réussi, inquiétant et m'a fait flirter pour la première fois avec l'énigme de l'irréel. "Mais alors, il rêvait ou pas, Garfield ?" Je n'ai fait le lien avec la Twilight Zone qu'une décennie plus tard, aussitôt je me suis procuré la série entière.
L'épisode 0, the Time Element, m'a scié pour de bon. Le jeu d'acteur de William Bendix avait quelque chose de frais, réaliste, intemporel. Pour ceux qui l'auraient loupé, c'est l'histoire du type qui se retrouve à Pearl Harbor à chaque fois qu'il rêve. En fait, c'est souvent comme ça avec the Twilight Zone. Les épisodes mettent en scène des questions métaphysiques ; paranormales ou juste scientifiques, assez enfantines et qui ne surprendraient personne aujourd'hui. "Et si c'était vrai, ce que je vis dans mes rêves ?", "Et s'il n'y avait plus personne nulle part, sauf moi ?", ou encore "Et si je retournais à l'époque de mon enfance, qu'est-ce que je dirais à mon moi du passé ?" "Et si j'étais immortel, mais qu'on m'enfermait pour toujours ?" Sauf que ces interrogations un tantinet simplistes étaient loin d'être vues et revues à l'époque, au cinéma en tout cas. Après tout, ça faisait seulement un demi-siècle que le cinéma existait... J'imagine que lorsqu'on participe aux balbutiements d'un art, il est aisé d'être pionnier de quelque chose. Cependant, je ne confonds pas chanceux et opportuniste, je ne vais pas reprocher à Rod Sterling d'être né à la bonne époque, celle où c'est parfaitement saugrenu et original de se dire "ah ouais, imagine j'suis dans la télé, quoi ! Genre j'rêve tellement d'être à la télé que, bah j'suis à l'écran comme par magie ! Dingue nan ?" Chacun son tour : sûrement qu'en 2062, quelques curieux regarderont Black Mirror en jubilant "Ils se posaient de ces questions à la con quand même dans les années 10 ! Ils croyaient vraiment qu'on allait faire du vélo pour gagner sa vie..." Je dis que les "questions posées" sont puériles mais les réponses sont soit inattendues, soit prévisibles mais avec de grandes qualités.
La série sait faire peur, pas comme un film d'horreur, je parle d'angoisse psychologique. On retrouve aussi cela dans Black Mirror, cette façon de rendre nuisible tout éventuel progrès technique, en anticipant déjà les problèmes qu'ils nous poseront. Au fil des épisodes, vous aurez peur de rêver, prendre le bateau, travailler pour les forces aériennes ou la Marine, d'être myope, nostalgique, immortel, des vendeurs itinérants, des androïdes, des semelles en cuir...
Difficile de noter une série qui change d'acteurs, d'époque et de lieu à chaque épisode. Nous sommes sûrement unanimes à ce propos : la série est inégale sur beaucoup de plans. On passe du far West à Hawaii, on saute des siècles, on quitte un impeccable et poignant jeu d'acteur pour des grimaces surjouées affublées d'yeux exorbités. Parfois le thème de l'épisode tape en plein dans le mille, et d'autres fois je regarde l'épisode en entier juste pour l'ambiance Hitchcockienne tant l'enjeu me paraît vain, désuet. Ce yo-yo infernal de tous les aspects finit par créer une sorte d'harmonie qui me plaît, à chaque épisode c'est autre chose, une lotterie qui s'avère lucrative puisque jamais je n'ai eu l'impression de perdre mon temps durant ces 36 épisodes.