La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé est la pierre finale posée avec fracas, le dernier coup de pinceau tiré avec énergie, le clin d'oeil malicieux adressé par-dessus l'épaule au moment du départ, qui vous remercie pour tout ce temps passé ensemble. Évidemment, en bon fan de Xavier Dolan, on veut croire naïvement que ce n'est qu'un au-revoir, et que le lointain retour n'en sera que meilleur. Mais comment négliger le beau cadeau, le souvenir qu'il nous laisse dans ces cinq épisodes d'une heure, condensant son univers, ses acteurs fétiches, ses thèmes, sa façon de filmer les familles qui s'aiment et se déchirent pourtant, et parachève son tout premier film, J'ai tué ma mère. Anne Dorval revient sur son personnage de mère sacrificielle, qui donne tout à ses enfants, et ne demande rien d'autre en retour que leur bonheur. Mais, justement, dans une famille où chacun est malheureux (drogue, alcool, fantasmes sexuels extrêmes, solitude mal vécue...), où surtout personne ne semble vouloir s'aider, comment faire pour tous les remettre sur les rails et que cela dure ? La réponse se trouve dans le testament, et elle est surprenante... Laurier Gaudreault démarre fort, on se sent rapidement comme chez soi en retrouvant quelques têtes connues (le "Xavier Dolan Multiverse"), une photographie ultra propre, une musique entêtante dans le générique (Hans Zimmer, en même temps...), une BO intelligente qui ré-interprète quelques grands tubes rétro, et surtout une frontalité des émotions entre les personnages qui nous empêche de décrocher. On veut savoir ce qu'il s'est passé dans cette famille pour que les engueulades soient si furieuses, bégayent pour cacher des non-dits, et on veut savoir l'identité du harceleur mystérieux qui suit les disputes à courte distance... On se l'avoue, la série baisse nettement en tension aux deuxième et troisième épisodes, aussi il ne faudra pas hésiter à concéder un peu de patience au récit car, lorsqu'il se réveille (lui aussi), on ne s'attend pas au final. On a sorti le mouchoir au plan

de la chaise vide regardée avec nostalgie du moment où cette dernière soutenait encore cette mère, perdant ses mots devant la joie de prendre l'appel d'une fille qui l'a fuit des années sans qu'elle n'y soit pour rien.

Une mère. Anne Dorval est notre chouchou, on ne peut s'empêcher d'adorer son personnage de maman si touchante, fragile et pourtant déterminée à sauver ses enfants, dont le cadet (Xavier Dolan, impressionnant comme d'habitude) forme un duo fusionnel et épuisant à la fois, à la manière de J'ai tué ma mère (la boucle est bouclée). Et comment imaginer plus beau message d'héritage, plus belle épitaphe, que ce twist final du

"Elle ne leur lègue pas l'argent, elle leur lègue la paix.". Ce dernier épisode concentre les révélations sur l'origine du mensonge qui a pris des proportions dramatiques, de l'éloignement pour éviter de trahir un secret qui, dans un monde parfait, ne devrait pas être honteux, du refoulement des peurs, des fantasmes qui ont dévoré cette famille de l'intérieur. On nous fait tout comprendre en un seul plan, ce "coucou" final qui nous assure que maintenant, tout va bien aller, comme on se dit tout, à commencer par le plus important : qu'on s'aime. Cette mère ne l'aura pas obtenu de son vivant, mais elle troque sa mort contre le début de vie de ses enfants.

Xavier Dolan a compris les mamans-courage, à n'épargner jamais toute la violence émotionnelle qu'elles subissent de leurs enfants, mais aussi à auréoler tout leur amour inconditionnel. Cette série, en attendant un futur retour (on y croit), est un testament passionné d'un réalisateur à ses fans, et, avec son récit copieux et son casting investi, n'oublie pas de faire hériter tous les curieux, quand même.

Aude_L
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 30 avr. 2023

Critique lue 62 fois

1 j'aime

Aude_L

Écrit par

Critique lue 62 fois

1

D'autres avis sur La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé

Du même critique

The French Dispatch
Aude_L
7

Un tapis rouge démentiel

Un Wes Anderson qui reste égal à l'inventivité folle, au casting hallucinatoire et à l'esthétique (comme toujours) brillante de son auteur, mais qui, on l'avoue, restera certainement mineur dans sa...

le 29 juil. 2021

48 j'aime

Bob Marley: One Love
Aude_L
5

Pétard...mouillé.

Kingsley Ben-Adir est flamboyant dans le rôle du jeune lion Bob Marley, âme vivante (et tournoyante) de ce biopic à l'inverse ultra-sage, policé, et qui ne parle pas beaucoup de la vie du Monsieur...

le 14 févr. 2024

37 j'aime

Mad God
Aude_L
5

Doing doing doing doing...

Mad God est une expérience, et ce n'est pas parce qu'on ne l'a subjectivement pas appréciée, qu'on ne vous recommande pas de la vivre. Au mieux, vous serez subjugué par ce mélange de sadisme assumé,...

le 8 avr. 2023

35 j'aime