La Nuit où Laurier Gaudreault s'est réveillé est probablement l'œuvre la plus dure et la plus mure de Xavier Dolan, construite comme une compilation presque étouffante de tous ses thèmes, de toutes ses obsessions esthétiques, de toutes ses références, de tout ce qui le questionne, le touche, le fait enrager.

Il fallait bien 5 heures au réalisateur québécois pour disséquer ainsi dans une saga dense, presque testamentaire, toutes ces couches de liens familiaux, amicaux, haineux, sexuels, entremêlés et bousculés.

Xavier Dolan, en plein possession de ses moyens, devant et derrière la caméra, donne tout dans cette série.

Il cite Fincher dans son générique, le Lynch de Twin Peaks dans l'ambiance qu'il pose de petite ville sur laquelle plane un drame adolescent et où peu à peu les apparences s'effritent, ou Six Feet Under dans ses plans photographiques d'une famille qui se détruit.

Il fait s'entrechoquer dans sa bande-originale The Cure, Joy Division, This Mortal Coil, Pixies et Céline Dion, Monique Leyrac, Jean Ferrat, Sum 41.

Il joue avec les genres et les tons, convoquant la comédie excessive, le théâtre (la série est une adaptation libre de la pièce éponyme du dramaturge Michel Marc Bouchard), la grande saga familiale, le teen movie qu'il fantasme tant et le film d'horreur auquel il adresse de multiples clins d'œils, bien aidé par la composition inquiétante et tout en cordes de Hans Zimmer et David Fleming.

Le tout dans maelstrom rarement indigeste.

Et c'est précisément pour cela que La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est une réussite.

Parce qu'il parvient à transcender la dureté des thèmes évoqués, dont il ne nous cache rien de l'horreur, allant d'ailleurs parfois trop loin (viol, addictions diverses, mort, vengeance, maladie, violence, autodestruction, relations toxiques, secrets enfouis, ...) par sa mise en scène ample, ciselée (il est évidemment au montage de chaque épisode) et sa direction d'acteurs presque burlesque, allant toujours haut dans les tours.

Parce qu'il montre à quel point il est grand créateur d'images, de plans renversants où les personnages se voient dans leur passé ou leur avenir aux transitions aussi audacieuses que triviales.

Parce qu'il fait planer comme un spectre morbide les thèmes qui guident et justifient tout son cinéma depuis ses débuts.

Parce qu'il impose malgré tout une ambiance poétique, au plus près des éléments naturels et de la sensualité des vies qui s'entrelacent.

Passée la tempête hystérique des premiers épisodes, passée les excès comiques et horrifiques, Dolan s'adonne à un apaisement soudain de tout ce qu'il a énervé depuis le début et, lorsque les nappes douces viennent remplacer les violons stridents, lorsque la neige tombe en été, que le vent cesse de souffler et la pluie de balayer les rues, capte alors des moments de vérité déchirants.

Les deux derniers épisodes, entre souvenirs émouvants et présent halluciné, focalisés sur des moments intimes, des tentatives de reconstruction, des rapprochements (des personnages comme de la caméra), sont bouleversants, touchant au plus profond de chacun d'entre nous. Cela grâce son évident talent d'écriture, mais aussi et surtout à l'impeccable distribution qui interprète avec justesse et grandiloquence, dans un esprit de troupe précieux (la palme, tout de même, à Anne Dorval en mère complexe aussi détestable que poignante) ces personnages torturés et détruits par un secret qui les ronge de l'intérieur sans qu'ils l'admettent ou même le sachent.

Sur-référencée et hystérique, excessive et émouvante, populaire et auteuriste, exagérée et convaincante, violente et habitée, poétique et cruelle, dérangeante et bouleversante, criant sa vérité dans une forme remarquable, La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est bien une œuvre de Xavier Dolan.

Et peut-être sa meilleure.

Charles_Dubois
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le 20 févr. 2023

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Charles Dubois

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